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Reportage

Une princesse béninoise devenue reine de l’ananas

Au Bénin, Bertille Guèdègbé Marcos a tout misé sur la culture de l’ananas. Elle a décroché un contrat
avec la société française Les jus de Marmande, construit un nouvel atelier de transformation et associé
à ce projet quelque 1 600 petits producteurs.
Une princesse béninoise devenue reine de l’ananas

Bertille Guèdègbé Marcos, une dynamique chef d’entreprise qui s’est lancée dans la production d’ananas en 2000, travaille désormais avec 1 600 petits producteurs.

A l'entrée d'Allada, ville située à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Cotonou, capitale économique du Bénin, des ouvriers s'affairent sur plusieurs bâtiments en chantier dans la chaleur moite. Une tornade toute colorée passe parmi eux, envoyant un ordre à l'un, demandant un renseignement à l'autre, d'une voix ferme mais bienveillante. C'est Bertille Guèdègbé Marcos, princesse d'Abomey* et reine de l'ananas au Bénin. Le temps presse un peu : la chef d'entreprise a décroché un contrat avec la société française de transformation de fruits et légumes, Les jus de Marmande (Lot-et-Garonne) et les premiers bidons doivent être expédiés rapidement. « L'objectif est d'atteindre un à deux millions de litres par an, malgré ce volume, la manière dont je produis reste artisanale », précise la dynamique sexagénaire. L'ingénieur agronome qu'elle était a « pris la route des champs pour devenir agricultrice à plein temps » et lier sa réussite à la production d'ananas. En 2003, elle exportait deux tonnes de fruits frais par semaine lors de la haute saison. Aujourd'hui, ce sont soixante tonnes hebdomadaires. Ses ananas garnissent surtout les étals des pays africains comme le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso, le Gabon et le Maroc, pour un volume annuel d'environ 7 000 tonnes. En Europe, ce sont 2  800  tonnes qui sont expédiées vers la France, la Suisse et la Belgique. La transformation a débuté en 2009 avec 3 000 bouteilles par jour. L'objectif à court terme est de valoriser en jus deux tonnes de fruits par jour pour atteindre, plus tard, 23 tonnes. Ses jus d'ananas, commercialisés sous la marque Les fruits Tillou se marient avec du gingembre, de la mangue et du baobab. Le tout, sans sucre ajouté, ni conservateur. « Ce n'est pas tous les jours facile, je crie beaucoup mais je
suis efficace », reconnaît-elle.

Le pain de sucre est prisé pour sa chair sucrée, ses saveurs prononcées et son cœur tendre.

Du maïs pour investir dans l'ananas

Bertille Guèdègbé Marcos a commencé avec onze hectares de maïs et onze paysans d'Allada. « Je leur laissais un tiers de la production et je leur rachetais le reste que je revendais ensuite pour avoir de l'argent à investir dans l'ananas », raconte-t-elle. Progressivement, sa petite société a pris de l'ampleur, la princesse d'Abomey s'est hissée parmi les acteurs économiques qui comptent au Bénin et force le respect par sa détermination. Son usine en construction, installée sur un site de deux hectares, se décline en plusieurs petits bâtiments dont l'un de 2 000 m2 dédié à l'atelier. « C'est une unité aux normes, insiste la chef d'entreprise, vêtue d'une robe blanche aux motifs violets et vert anis, les cheveux tressés remontés en un élégant chignon. À l'étage, à côté des bureaux, il y a une passerelle d'où l'on peut voir tout ce qu'il se passe dans l'usine ». En tout, 33 personnes devraient y travailler à terme. « Ce projet impacte 1 600 producteurs d'ananas qui détiennent 5 % du capital. Au Bénin, une personne en fait vivre huit à dix autres », poursuit-elle. Parmi les apporteurs, 150 environ sont certifiés bio par Ecocert depuis cinq ans. En bio comme en conventionnel, la matière première est scrupuleusement analysée pour respecter les normes européennes.

L’usine de transformation en jus d’ananas est installée à l’entrée d’Allada, sur la route RNIE2 et emploiera à terme 33 personnes.

Un projet à 2,2 milliards de francs CFA

Au Bénin, il n'est pas rare de voir des enfants âgés de moins de dix ans travailler aux champs. D'épaisses chaussettes enfilées sur les bras pour se protéger des piquants, ils ramassent des ananas qu'ils transportent ensuite dans une bassine métallique posée sur la tête. Pas question pour Bertille Guèdègbé Marcos d'avoir recours à cette main-d'œuvre, elle qui avait créé une école et ouvert ses portes avec quatorze enfants. « Onze sont cette année en terminale », sourit-elle fièrement. Ses hommes, elle les envoie aussi se former à Cotonou. Pour financer ce projet, la chef d'entreprise s'est tournée vers la société générale du Bénin qui lui a prêté 1,760 milliard de francs CFA et elle a investi 440 millions de francs CFA. Le chantier a débuté en février 2016, les premiers équipements sont arrivés en septembre.
L'Africaine, qui a d'abord créé une entreprise individuelle, puis une société à responsabilité limitée, a pris la tête d'une société anonyme dont une partie du capital est ouverte à des actionnaires (20 %). « Seule, je ne pouvais pas, mais je conserve 65 % des parts », dit-elle. Avant d'ajouter, dans un large sourire ponctué d'un franc éclat de rire : « Je suis une vraie princesse d'Abomey, je veux mourir avec beaucoup ! » 

Murielle Kasprzak
*Abomey était la capitale historique du royaume du Dahomey, l'un des plus puissants d'Afrique occidentale, farouchement opposé à l'occupation coloniale. Douze rois se sont succédé de 1625 à 1900 et ont édifié des palais, inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco.

 

Ananas / L’ananas pain de sucre, culture emblématique du Bénin, peut encore prendre des parts de marché avec une meilleure formation et un accompagnement technique des producteurs.

Des parts de marché à prendre

Au Bénin, l’ananas, le cayenne ou le pain de sucre, est cultivé dans sept départements sur douze. Ce secteur d’activité représente environ 1,3 % du PIB, emploie quelque 20 000 personnes et compte une cinquantaine d’entreprises. 35 % de la production annuelle, qui dépasse les 260 000 tonnes, sont destinées à la consommation locale tandis que la sous-région représente 40 % du marché. L’Europe (France, Belgique, Suisse, Pays-Bas), les États-Unis et le Japon sont les trois principales destinations d’exportation. Le département de l’Atlantique, dans le sud du pays, concentre presque la totalité de la production. Les communes de Zè, Abomey-Calavi, Allada, Tori-Bossito et Ouidah sont bordées, à perte de vue, par des champs d’ananas plantés au cordeau. Souvent, il s’agit de coopératives regroupant plusieurs petits producteurs comme à Zinviè.
Renforcer l’encadrement des producteurs
Dans ce village, une petite quarantaine de paysans, qui disposent chacun de quatre à six hectares, produit de l’ananas destiné au marché local ou à l’export. Le fruit pousse pendant environ 18 mois au cœur d’une couronne de longues feuilles dentelées et lisses. Ils ont construit une petite unité de conditionnement pour absorber le surplus et commercialisent leur jus d’ananas sous la marque Nat jus.
Le pain de sucre connaît actuellement un engouement auprès des consommateurs : sa chair pâle recèle des saveurs prononcées, un taux de sucre élevé et un cœur tendre. « La demande n’est pas satisfaite sur les marchés extérieurs, note Françoise Assogba Komlan, directrice de cabinet au ministère de l’Agriculture. Tous les producteurs ne peuvent néanmoins pas avoir accès à l’export car leurs fruits contiennent des résidus à des taux interdits sur le marché européen, par exemple ». Les paysans béninois sont confrontés aux prix élevés des traitements phytosanitaires et utilisent, quand ils le peuvent, des produits destinés à la culture du coton sans maîtriser le dosage. Souvent, par manque de moyens, ils n’appliquent rien du tout. « Le pain de sucre peut prendre des parts de marché, souligne-t-elle. L’idée est de travailler sur les semences pour avoir des fruits plus homogènes et sur le tri, tout en renforçant les capacités de production pour que les délais de traitements soient respectés ». Le nouveau président, Patrice Talon, élu en mars 2016, a classé l’agriculture parmi les secteurs prioritaires de son mandat. Il est question d’accentuer la formation et d’encadrer les producteurs afin de faciliter la culture de ce fruit. La construction d’un quai fruitier lors de l’édification d’un nouvel aéroport à Cotonou est également en projet.