Une récolte hétérogène… mais prometteuse
Avec deux à trois semaines de retard, les producteurs de lavande et lavandin ont dû – ou doivent - s’adapter à une récolte particulière. Le point avec Cédric Yvin et Pierre Battail, conseillers à la chambre d’agriculture, et Alain Aubanel, président du syndicat des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) de France.

Avec 30 000 hectares plantés en France, dont 8 000 dans la Drôme, la lavande et le lavandin constituent la principale culture de la filière Ppam. Cette année, en raison d’un printemps froid et pluvieux, les récoltes sont tardives. « D’ordinaire, elles commencent autour du 20 juin. Cette saison, les producteurs ont démarré leurs récoltes de lavande le 3 juillet, sur les secteurs de Grignan, de la plaine de Montélimar et la plaine de Valence Romans », explique Cédric Yvin, conseiller spécialisé en Ppam à la chambre d’agriculture de la Drôme. Les récoltes de lavandin, quant à elles, ont débuté cette semaine. Presque quinze jours de décalage en plaine, et plus de trois semaines en zones d’altitude, comme le Haut-Diois ou les Baronnies. Malgré ce contexte particulier, les rendements attendus devraient être plutôt bons. « Les récoltes de lavande maillette, du côté de Valence, présentent des rendements entre 35 et 55 kg d’huile essentielle à l’hectare, sachant qu’en plaine, la moyenne est de 40 kg d’huile essentielle à l’hectare. Avec la fraîcheur et la pluie, on s’attendait à un rendement inférieur », se réjouit Cédric Yvin. L’accumulation des pluies de ces dernières semaines aura cependant des conséquences : « certains épis sont à terre, et pourrissent », ajoute-t-il.
En zones de montagne, si les pluies de début juillet auront permis de faire durer la période de floraison, les rendements ne répondront certainement pas aux attentes des producteurs. « Nous ne pensions pas avoir gelé. Cependant, nous nous rendons compte d’une forte hétérogénéité sur les plants », remarque Alain Aubanel, producteur d’huiles essentielles à Chamaloc et président du syndicat des Ppam de France et du Cihef (comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises).
Des attaques de cécidomyies
D’ailleurs, l’état sanitaire de ces parcelles inquiète. « Nous avons eu des attaques de cécidomyies que nous n’avions plus vues depuis vingt ans. Nous traitions nos champs de façon systématique depuis quarante ans pour lutter contre ce ravageur, mais le produit a été retiré du marché l’an dernier. Sans méthode alternative, des arrachages prématurés seront inévitables », regrette-t-il. « Les populations sont plus importantes dans les zones historiques de production », ajoute Cédric Yvin. De ce fait, les dégâts sont plus limités – voire inexistants pour le moment – en plaine. Par ailleurs, les plantations sont toujours soumises à la maladie du dépérissement, à un niveau moindre. « Il y a peu de symptômes depuis cinq ou six ans », relate le conseiller Ppam. Malgré tout, « les populations fluctuent selon les espèces. Il est donc important d’instaurer un ensemble de bonnes pratiques agricoles pour lutter contre la cicadelle », poursuit-il. Parmi elles, la rotation des cultures, l’achat de plants sains certifiés, la plantation de variétés tolérantes au dépérissement, la mise en place de couverts végétaux inter rang, les traitements à l’argile kaolinite, etc.
Pour suivre l’état des populations de cicadelles, la chambre d’agriculture de la Drôme et l’Iteipmai* ont développé un réseau de piégeage sur les communes de Roussas, Crest, Montvendre, Mévouillon, Taulignan, Savasse ou encore Saint-Restitut. Le piégeage des cicadelles (Hyalesthes Obsoletus) a commencé début juillet sur des parcelles de lavande en basse altitude, avec des résultats très faibles. Mais « depuis peu, les piégeages se font nombreux à Mévouillon », prévient Pierre Battail, conseiller en Ppam à la chambre d’agriculture de la Drôme, en charge du réseau de piégeage. « Comme l’an passé, nous avons beaucoup de piégeage de Hyalesthes Obsoletus dans les Baronnies, en altitude », explique-t-il. En plaine, comme à Montélimar, les chiffres restent anecdotiques.
Marché saturé et prix en chute libre
En termes de commercialisation, la situation est très tendue. « Le marché de la lavande / lavandin est complètement bloqué, à cause des plantations excessives ces dernières années en France. J’estime qu’il y a aujourd’hui 5 000 hectares de trop sur le territoire. Nous sommes en surproduction, à tel point que nous avons une récolte d’avance en stock », alerte Alain Aubanel. De plus, la concurrence étrangère (Bulgarie, Grèce, Turquie) fait monter la pression sur les prix. « Depuis deux ans, nous assistons à un effondrement des cours. Le lavandin a baissé de 50 % en deux ans. 34 € le kg en 2019, 18 € le kg en 2020, et 14 € cette année », ajoute-t-il. « Nous sommes arrivés au stade où la production a dépassé la demande. Je conseille donc aux producteurs de se tourner vers d’autres Ppam à valeur ajoutée, après s’être assuré des débouchés économiques », conclut Cédric Yvin.
Amandine Priolet
* Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles.

Les huiles essentielles en danger

PPAM de France alerte : les huiles essentielles et les produits naturels risquent de disparaître des produits de grande consommation (cosmétiques, parfums, lessives etc.) en raison de nouvelles réglementations inadaptées aux produits naturels et imposées par l’Europe.
La filière des huiles essentielles françaises monte au créneau suite à l’annonce de futures mesures réglementaires, mises en œuvre dans le cadre de la « Stratégie pour une chimie durable » du Pacte Vert Européen. Cette réglementation consiste à étudier tous les produits chimiques, sur des aspects allergènes, perturbateurs endocriniens, agents CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique). « Dans ce cadre, les huiles essentielles sont considérées comme des produits chimiques et doivent être évaluées avec les mêmes méthodologies. Elles sont, selon les situations, assimilées à des mélanges de constituants. Or les huiles essentielles, comme tous les produits naturels, sont des substances complexes composées d’une multitude de constituants, qu’il n’est pas possible de supprimer sans altérer leur identité et leurs propriétés », indique PPAM de France dans un communiqué. La filière attend de ce fait une réelle prise en considération des produits naturels. « Nous voulons avoir la possibilité de démontrer qu’un produit naturel n’a pas la dangerosité d’un produit de synthèse », ajoute Alain Aubanel, président du CIHEF.
Si elle est validée, cette réglementation aurait des impacts majeurs, en particulier sur la production agricole mais aussi sur les industries de la parfumerie, de la cosmétique, de l’herboristerie, de l’aromathérapie, etc. « Si nous sommes interdits demain de commercialiser ces huiles, bon nombre d’entreprises mettront la clé sous la porte », s’insurge-t-il. C’est pourquoi, depuis quelques semaines, les lavandiculteurs alertent l’opinion publique avec des panneaux « lavandes en danger/cessation d’activité » en bord de champ. L’activité touristique associée à la culture de la lavande dans le sud de la France, tout comme la production de miel sont également menacées de disparition. Les agriculteurs demandent donc une approche spécifique et adaptée aux huiles essentielles et globalement aux produits naturels, qui garantissent la protection du consommateur et de l’environnement.