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Ravageurs

Utiliser la biodiversité fonctionnelle en maraîchage

La biodiversité fonctionnelle en maraîchage est l'art d'utiliser les phénomènes de prédation naturelle pour combattre les ravageurs des cultures et maintenir leur nombre sous le seuil de nuisibilité économique. Le Grab d'Avignon1, la Serail2 ainsi que l'Ardab3 étudient le sujet depuis plusieurs années à travers des expérimentations et des groupes d'échange
en maraîchage. Revue des connaissances disponibles sur le sujet.
Utiliser la biodiversité fonctionnelle en maraîchage

Sur le papier, les principes de la biodiversité fonctionnelle sont simples : assurer gîte, couvert et couloirs de circulation aux prédateurs naturels pour les attirer, les implanter et les conserver le plus longtemps possible. Dans les faits, cette méthode de lutte nécessite une bonne connaissance de la biologie des auxiliaires et ravageurs ; des informations précises sur les espèces végétales adaptées à ses objectifs et, bien sûr, des aménagements de parcelles adéquats.

Rouge-queue. Les éléments structurels comme les haies composites, les mares, les tas de bois, les nichoirs et les poteaux permettent de mieux accueillir et fixer les oiseaux autour des parcelles.©E-Maille - Agrobio Périgord

Quels auxiliaires contre quels ravageurs des légumes ?

Les ressources naturelles à disposition sont nombreuses. L'idéal est d'avoir une diversité biologique la plus riche possible. Parmi les auxiliaires naturels, on trouve des plus gros aux plus petits : des mammifères, comme le hérisson qui consomme des limaces et escargots ou la chauve-souris qui gobe des papillons, coléoptères et autres insectes volants. Des oiseaux, comme les rapaces diurnes et nocturnes qui attaquent les campagnols ou les mésanges qui consomment des insectes volants dont les pucerons ; des arachnides qui dégustent des insectes et chenilles ; des insectes comme le carabe qui attaque les mollusques, la coccinelle, consommatrice de pucerons, la punaise Macrolophus, prédateur polyphage contre l'aleurode, mais aussi des hyménoptères (micro-guêpes) qui parasitent les pucerons, des chrysopes ou des syrphes dont les larves dévorent pucerons, thrips, araignées, chenilles. On trouve encore des nématodes contre les chenilles ; des champignons contre nématodes, thrips, charançons et même contre d'autres champignons pathogènes ; et des bactéries comme le Bacillus thurigiensis utilisés contre plusieurs chenilles phytophages et même des virus... Mais pour ces trois dernières catégories, les aménagements de parcelles ne sont pas pertinents. Ces auxiliaires sont apportés lors de pulvérisations de solutions sur les cultures concernées. En ce qui concerne les mammifères et oiseaux, on observe que les éléments structurels comme les haies composites, les mares, les tas de bois, les nichoirs et les poteaux permettent de mieux accueillir et fixer ces animaux autour de la parcelle afin qu'ils puissent chasser jour et nuit. Enfin, à propos des insectes auxiliaires, les études en maraîchage ont beaucoup porté sur l'aménagement de bandes fleuries afin de favoriser leur implantation et d'assurer leur présence en début de saison dès que les attaques de ravageur commencent à apparaître.

Les bandes fleuries

Les populations d'insectes auxiliaires présentes localement peuvent s'implanter naturellement dans les parcelles sous réserve qu'il n'y ait pas de traitements nocifs, de barrières mécaniques (filets...) et qu'il existe des refuges naturels. Les bandes fleuries implantées naturellement ou artificiellement dans les parcelles ou sous-abris vont constituer ces refuges naturels en fournissant de quoi nicher et manger. Par exemple, les premiers essais du Grab d'Avignon sur ses cultures de melon montrent clairement une augmentation des populations de coccinelles, chrysopes et punaises prédatrices en présence de bandes fleuries. Les essais menés les années suivantes ont confirmé que la bande fleurie héberge plus d'auxiliaires spécifiques des pucerons (notamment les coccinellidés et névroptères) que le sol nu. Et ces populations sont apparues plus stables pendant la culture, alors même que les populations de pucerons avaient régressé.

Composition des bandes fleuries

L'alimentation et la reproduction des auxiliaires seront facilitées en partie par le nectar et le pollen des fleurs, qui doivent donc être présents toute l'année pour assurer une action des auxiliaires la plus longue possible mais aussi pour permettre un déploiement le plus rapide possible de la population d'auxiliaires au printemps. Selon Dominique Berry, référent maraîchage, chambre d'agriculture du Rhône, « plus on cherche la précocité des cultures plus on se met dans une situation où les auxiliaires n'ont pas les conditions optimales. La culture de fève peut favoriser la présence de coccinelles de façon précoce. Il faut donc réfléchir la composition de sa bande fleurie en fonction de l'attractivité des espèces végétales pour les auxiliaires, la précocité et durée de floraison, la concurrence par rapport aux adventices afin d'éviter tout salissement et la disponibilité des graines ». En ce qui concerne l'attractivité des espèces végétales, de nombreuses plantes sont citées : fabacées, centaurée bleuet, phacélie, pimprenelle, sarrasin, coquelicot, bourrache, graminées, achillée millefeuilles (Achillea millefolium), alysson (Lobularia maritima), centaurée jacée (Centaurea jacea), lotier (Lotus corniculatus), souci (Calendula officinalis), marguerite... Les établissements semenciers proposent aujourd'hui des mélanges prêts à l'emploi mais vous pouvez aussi composer vos propres mélanges en vous aidant du tableau réalisé par le projet « Muscari », à partir de semences du commerce mais aussi d'espèces naturellement présentes. Plus spécifiquement en maraîchage, d'après Jérôme Lambion du Grab, sur les neuf espèces végétales testées dans les bandes florales, trois sont très intéressantes du point de vue des dicyphus, à savoir l'érodium de manescaut (Erodium manescavii), le géranium herbe à Robert (Geranium robertianum) et le géranium à gros rhizome (Geranium macrorrhizum) ; une espèce est intéressante vis-à-vis de Macrolophus, à savoir le souci officinal (Calendula officinalis).

Plante relais et transfert

Pour pouvoir maintenir la population d'insectes auxiliaires pendant la période froide, il existe deux stratégies complémentaires possibles : maintenir un couvert propice aux auxiliaires mais qui nécessitent de trouver des fleurs pérennes ou implanter un couvert hôte pour les ravageurs qui nourriront les auxiliaires. C'est ce qu'a fait le Grab avec un mélange céréales - bleuet - fève pour fixer des populations de pucerons. Mais dans cet essai, la flore spontanée présente s'est révélée beaucoup plus pertinente que la bande fleurie pour maintenir des populations d'auxiliaires. Puis, le Grab a donc testé l'implantation de plantes pérennes sous abris pour maintenir des populations de punaises prédatrices (Macrolophus et Dicyphus) : mélange de souci (Calendula officinalis), inule (Dittrichia viscosa) et géranium (Geranium robertianum). Mais l'inule a, depuis, été écartée car elle héberge exclusivement Macrolophus melanotoma, qui lui est très inféodée, et incapable de s'installer sur tomate. Le souci a montré une très bonne capacité à héberger Macrolophus Pygmaeus y compris pendant l'hiver mais pas Macrolophus Nesidiocoris. Le Grab a enfin testé des modalités de transfert des bandes fleuries vers les cultures, sous abris. L'arrachage de la bande fleurie a été plus efficace que le transfert actif (plantes coupées et déposées dans la culture), qui a été lui-même légèrement plus efficace mais surtout plus durable que le transfert passif.
D'autres techniques de transfert existent comme le battage ; les orties sont support d'orius, un battage matinal peut permettre d'obtenir 50 à 60 coccinelles en 5 minutes. L'aspiration est une autre technique. En allant tôt le matin et en sélectionnant les auxiliaires recherchés avec un « aspirateur à bouche », on peut attraper les auxiliaires au sol.

 

Rémi Colomb -ADABio et Samuel L'Orphelin-Agribiodrôme
1 Grab : groupe de recherche en agriculture biologique.

2 Serail : station d'expérimentation Rhône-Alpes information légumes.
3 Groupe de producteurs bio de la Loire et du Rhône.

 

Ce qu’ils en disent /

Deux maraîchers en agriculture biologique témoignent de leurs pratiques pour combattre les ravageurs dans leurs cultures de façon naturelle.
Dominique Viannay du Gaec Les Haies vives à Chaussan (Rhône)
« Quand on produit des légumes, on est soumis entre autres à une pression par les ravageurs. Il faut créer les conditions pour que les cultures et le milieu soient fonctionnels pour permettre une régulation de base. Si on veut bénéficier du service des auxiliaires de culture il faut qu’ils se trouvent bien chez nous, avec un milieu propice, une diversité, une complémentarité de plantes herbacées, arbustives… Une des clés fondamentales est la floraison, il faut trouver un compromis en fonction de sa sensibilité et de ses cultures, avoir une floraison étagée. » À ce titre, Dominique Viannay a mis en place une bande fortuite fleurie de plantes qui élèvent des auxiliaires du puceron noir de la fève. « On intervient peu en plein champ avec les auxiliaires, ce sont les aménagements qui comptent. La captation des auxiliaires pour faire un transfert de culture à culture, présente un intérêt sous abris ; plutôt que de les acheter, les maraîchers peuvent en produire eux-mêmes. Il faut repérer si les auxiliaires sont présents en quantité et si cela vaut le coup économiquement. Lorsque le système commercial le permet, il est possible d’élever des auxiliaires sur des cultures qui ont franchi l’hiver et qui peuvent rester en place. Ainsi on attire des punaises, orius, coccinelles, syrphes, chrysopes… » Puisque tous les maraîchers n’ont pas la possibilité d’avoir des auxiliaires en parcelles, l’enjeu de la « bourse d’échange d’auxiliaires » est apparu. Des alertes de disponibilités d’auxiliaires sont transmises par les maraîchers. Un adulte de coccinelle vendu dans une boîte coûte 1,29 €. Économiquement cela peut devenir intéressant et permet de gagner en autonomie. 

Véronique et Nicolas Aymard à Chaussan (Rhône)
« Cette année, début mai, nous avons constaté la présence de pucerons sur les concombres. Nous avons fait un passage manuel et, la semaine suivante, nous avons suspendu 4 tiges de blettes avec pucerons parasités par des aphidus. La population d’auxiliaires se développe ensuite et s’auto-entretient sur la saison. Nous maintenons aussi des zones propices pour attirer les auxiliaires, pratiquons la fauche tardive et nous avons semé du lierre sur les filets brise-vent. » Les deux agriculteurs souhaitent encore intégrer des blettes dans leur rotation jusqu’au printemps pour continuer à attirer des auxiliaires.