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La permaculture

Utopie pour jardinier ou vraie inspiration pour l'agriculture ?

La permaculture est un terme très à la mode dans les médias depuis quelques années. Mais que se cache-t-il derrière cette expression ? La permaculture appliquée à l’agriculture est-elle une source de pratiques intéressantes ou une bulle médiatique ? À travers l’étude de l’Inra sur la très médiatique ferme du Bec Hellouin dans l’Eure, le regard d’un technicien en maraîchage bio et d’un agriculteur drômois s’inspirant de la permaculture, nous tentons d’apporter quelques réponses.
Utopie pour jardinier ou vraie inspiration pour l'agriculture ?

Si peu de personnes savent ce qu'est la permaculture, beaucoup en ont déjà entendu parler. Une définition s'impose donc. La permaculture est une démarche globale et non simplement quelques techniques de jardinage ou d'agriculture. C'est une philosophie qui a trois objectifs : « prendre soin de la nature, prendre soin des Hommes et partager équitablement les surplus », indique Jérémy, formateur en permaculture. Elle s'inspire de la nature, des écosystèmes et des savoir-faire traditionnels. Elle peut donc s'appliquer à l'agriculture mais aussi aux autres domaines de la vie humaine : logement, outils et technologies, finance, santé, enseignement, etc. Elle a par exemple inspiré le mouvement des villes en transition qui cherchent à réduire leur dépendance à l'énergie bon marché. La permaculture est née en Australie (lire article ci-contre) à la fin des années 1970. Elle s'est répandue dans le monde et concerne aussi bien les pays occidentaux que les pays en développement. En France, de nombreuses initiatives ont été lancées ces dernières années, les formations, les ouvrages et les échos médiatiques sont de plus en plus nombreux. Appliquée à l'agriculture, une exploitation permacole vise à produire une nourriture saine et abondante, sans utiliser d'intrants chimiques tout en utilisant très peu d'énergie, notamment de pétrole.

Charles et Perrine Hervé-Gruyet ont créé la ferme du Bec Hellouin en Normandie pour en faire un lieu de référence du micro-maraîchage en bio-intensif inspiré de la permaculture. On peut voir derrière eux la densité des cultures et le mélange des espèces qui permettent à chaque cm² de produire et interdit l’usage de moyens mécaniques lourds.

L'Inra se penche sur le modèle

Il existe quelques exploitations agricoles se revendiquant de la permaculture en France, dont l'une a fait l'objet d'une étude de 2011 à 2015 suivie par François Léger de l'unité mixte de recherche Inra-AgroParisTech : la ferme maraîchère du Bec Hellouin dans l'Eure. Souvent présentée comme le fer de lance de la permaculture et du maraîchage bio intensif, la ferme du Bec Hellouin a démarré en 2004 en s'inspirant, puis en appliquant progressivement les principes de la permaculture. « La permaculture est bien adaptée à de petites surfaces et propose des solutions low-tech, soulignent Perrine et Charles Hervé-Gruyer, les deux créateurs de la ferme dont la forte aura médiatique agace certains. Elle repose sur une observation attentive du milieu et une connaissance poussée du fonctionnement du vivant. » Sur cette exploi-
tation, de nombreuses techniques peu coûteuses mais parfois très innovantes sont utilisées afin d'obtenir des cultures très intensives : mélange des espèces et très grandes diversités, cultures étagées sur plusieurs niveaux, paillage et culture sur butte, culture relais qui commence avant la fin de la précédente, agroforesterie, espaces dessinés pour perdre le moins de temps dans les déplacements, etc. La ferme de 20 ha comprend des bois, des prairies et des parcelles intensivement cultivées. Elle n'a pas de tracteur et gratte quelques parcelles grâce à la traction animale. Elle commercialise sa production de légumes et de fruits en circuits courts grâce à des paniers hebdomadaires en Amap, à de la vente à des magasins bio et à des restaurateurs.

Micro-maraîchage en bio-intensif

Après quatre années d'étude de l'Inra, les données récoltées et modélisées par les chercheurs montrent que 1 000 m² cultivés (hors allées, zone de stockage ou de lavage) de maraîchage bio pratiqué en permaculture permettent de dégager un revenu horaire de 5,4 à 9,40 euros pour une personne travaillant 43 heures par semaine. Cela correspond à un revenu mensuel net compris entre 900 à 1 570 euros en fonction du niveau d'investissement et d'intensification des cultures. Pour François Léger, « le facteur clé de cette réussite est l'intensification : cultiver une très petite surface avec le maximum de soin et de productivité, sans perdre d'espace ni de temps de culture. »
Ces résultats, pour le moins hétérodoxe, ont suscité de nombreuses réactions. « Avec cette étude, nous ne prétendons pas qu'une ferme dont la surface totale serait de 1 000 m² puisse être viable, précise le chercheur François Léger, mais seulement que 1 000 m² cultivés permettent sur la ferme du Bec Hellouin de rémunérer une personne sur une année. Ni plus, ni moins. » L'ensemble des services rendus par les 20 ha de la ferme (les arbres, les haies, les mares, la ressource importante en fumier de cheval à proximité, etc.) font l'objet d'une nouvelle étude qui a démarré en 2015. « Si l'on reste sur les données chiffrées fournies par l'étude, cela relève de l'utopie, estime Dominique Berry, technicien conseil en maraîchage biologique à la chambre d'agriculture du Rhône sans toutefois jeter le bébé avec l'eau du bain. Selon moi, cette étude porte plus sur le résultat d'une exploitation maraîchère bio sur une petite surface que d'une étude sur une ferme permacole. Au-delà de ça, le travail mené sur la ferme du Bec Hellouin montre l'intérêt que peut avoir l'intensification d'un système maraîcher, par une intensification des rotations de culture, par des systèmes d'implantation différents qui impliquent un travail très manuel pour jouer sur l'association des espèces, des cultures basses et hautes ou encore la densification des cultures. » En tout cas, le succès médiatique de la permaculture et du micro-maraîchage bio inspiré par la permaculture influence fortement les jeunes attirés par l'agriculture. « En 2016, dans le Rhône, la grande majorité des projets d'installation en maraîchage porte sur des petites surfaces en bio-intensif avec un a priori permacole », souligne Dominique Berry. C'est d'ailleurs pourquoi une enquête technico-économique sur les petites fermes en maraîchage a démarré il y a peu sur la zone Rhône-Alpes auprès d'une trentaine d'exploitations maraîchères sur de petites surfaces (moins d'un ha) ayant au moins 2 à 3 années d'existence, le mouvement étant plutôt récent. « Nous cherchons à collecter des données sur ces fermes maraîchères bio et intensives, précise le technicien. Cela nous permettra de mieux répondre à ce type de porteurs de projets. » 

C. P.

 

Pour Sébastien Roumegous, la permaculture manque encore de références validées sur le terrain.
FORMATION / La permaculture commence à être abordée par certains formateurs dans l’enseignement agricole. Moins comme un modèle économique que comme un apport technique et agronomique.

Enseigner la permaculture avec pragmatisme

Une heure trente de cours dans le cadre du Master international en agroécologie. La permaculture a fait une entrée discrète dans le programme des futurs ingénieurs de l’Isara. À la hauteur de ce qu’elle représente pour l’instant, une approche nouvelle et digne d’intérêt mais pas encore un modèle technico-économique validé sur une exploitation agricole classique. Si les étudiants de cinquième année - de nationalités diverses dans ce diplôme dispensé en anglais - sont très ouverts sur le sujet, Sébastien Roumegous, enseignant-consultant en agronomie, commence d’abord par leur remettre les pieds sur terre. « Ce cours est une introduction au sujet. Il y a beaucoup d’idéalisme autour de la notion de permaculture, beaucoup de littérature mais peu de résultats de terrain. Mon cours sert à séparer le bon grain de l’ivraie pour leur donner une vision apaisée du sujet. En France, la pratique de la permaculture est souvent associée à de l’accueil touristique et à de la formation. Il n’y a pas d’exemple d’agriculteur qui gagnerait sa vie sur 1 000 m2 ! ». Pour autant, pas question non plus de négliger l’apport technique et agronomique. « La permaculture, c’est une approche qui va apporter beaucoup à l’agriculture : sur le non-labour, l’association de cultures, la réduction des intrants etc. Mais je présente aussi les inconvénients liés à ce mode de culture. C’est un modèle parmi d’autres, ce n’est pas LA solution pour l’agriculture mondiale. » Pour illustrer la permaculture, l’enseignant s’appuie d’ailleurs sur des exemples venant des États-Unis voire d’Australie, « car les Latins ont une approche plus philosophique de la démarche alors que les Anglo-Saxons sont plus dans le pratique et l’économique. »
Sensibiliser les jeunes à la réalité
En MFR, on ne trouve pas encore de modules consacrés à la permaculture. Néanmoins, elle n’est pas totalement absente. À la MFR d’Anneyron, spécialisée dans la bio (horticulture et maraîchage), « c’est plutôt une notion saupoudrée dans mes cours », explique Olivier Martin, formateur en Bac pro. « Je la cite lorsque l’on compare différents systèmes de production, lorsque l’on parle d’écosystèmes préservés ou d’agroforesterie. Nous sommes à l’écoute de tous les courants (biodynamie, etc.). Après, chaque élève se situe par rapport à son propre projet. L’intérêt des jeunes élèves est variable sur le sujet. » En BTS, la formatrice Irène Hauser est elle aussi très attentive « car les demandes d’informations, de formations des jeunes augmentent. Certains réfléchissent à des projets permacoles. Nous les mettons en garde sur la durabilité et la faisabilité économique. Pour nous qui travaillons beaucoup sur la notion de maraîchage bio sur petites surfaces, il y a des éléments intéressants à étudier dans la permaculture. Après, c’est aussi un choix philosophique, un mode de vie. C’est à chaque jeune de faire son choix. »
Une unité capitalisable  à Die
L’enseignement public n’échappe pas à cette tendance, avec tout autant de pragmatisme. Pour Jean-Pierre Cellier, enseignant en BPREA au CFFPA Ecully-Dardilly, « la permaculture pure est aussi philosophique et esthétique. C’est une pratique qui pose de bonnes questions, comme d’autres mouvements aussi. Nous l’abordons de façon transversale, sur certaines pratiques. Mais la permaculture se cherche encore, les agriculteurs qui se lancent doivent se caler. Nous développons plutôt la notion de maraîchage sur sol vivant. » C’est au CFFPA de Die que l’on trouve la seule unité capitalisable d’adaptation régionale à l’emploi (Ucare). Cette formation d’une semaine, pratique et théorique, lancée l’an passé répond à une forte demande. Cette année, les cours ont été dédoublés pour permettre à 34 élèves (deux tiers issus des BPREA de différents établissements et un tiers de l’extérieur, en formation continue) de suivre cette initiation à l’agroécologie permacole « avec une vision très technique sur des éléments vérifiables et pas seulement conceptuels. C’est une approche qui permet d’aller vers l’agroécologie », précise la directrice, Stéphanie Devernay. 
D. B.