Vers une mosaïque de solutions

Quelles agricultures pour demain ? Poser cette question, c'est déjà affirmer qu'il existe plusieurs formes d'agriculture aujourd'hui en France, et à l'évidence dans le monde. Les défis de production « doivent rester une obsession », selon Michel Griffon, agronome, économiste et conseiller pour le développement durable au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique). Il rappelle la nécessité de produire plus à l'échelle de la planète pour garantir l'alimentation humaine et animale de demain. L'agriculture est également amenée à produire pour répondre à la demande croissante en biocarburants et en biomatériaux (biomasse). Tout cela devra s'accomplir dans le respect de l'environnement et de sa biodiversité avec une baisse de l'utilisation des fertilisants, la diminution des émissions de gaz à effet de serre, et dans un même temps, en augmentant les rendements sans utiliser davantage de surfaces. Une équation qui pourrait s'apparenter à un vrai casse-tête chinois.
Quatre scénarios pour l'agriculture
C'est dans ce contexte qu'a travaillé le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) pour définir les pistes possibles de développement de l'agriculture pour les dix prochaines années. Quatre scénarios de développement de l'agriculture à l'horizon 2025 ont été identifiés : « Héritée », « contractuelle », « ferme-firme » ou « territorialisée », selon l'étude prospective du CGAAER présentée en avant-première le 3 décembre. Ce travail commandité par le gouvernement identifie les leviers politiques à actionner en fonction de l'orientation souhaitée. Ces scénarios ont été volontairement poussés à leur extrême car le but, explique Jean-Marie Gilardeau, membre de l'équipe de recherche, est d'identifier les décisions politiques qui influeront vers l'un ou l'autre des scénarios. Dans le premier, celui intitulé l'agriculture « héritée », les membres du CGAAER ont prolongé les tendances issues des dernières décennies. Les structures restent familiales, en groupement, financées par des capitaux internes ou des prêts bancaires. « C'est, plaisante Jean-Marie Gilardeau, l'agriculture proustienne, dont la madeleine est l'exploitation familiale. » Dans ce modèle, l'intervention de l'État se maintient, « plus subie que voulue », avec des politiques d'aides à l'installation.
L'agriculture « contractuelle », quant à elle, se situe dans la lignée des rapports contractuels qui se développent depuis quelques années. C'est un système de filière où les coopératives et les entreprises de l'aval investissent. L'État est peu présent, si ce n'est pour pousser aux recours aux assurances privées. Ces deux scénarios sont déjà entremêlés dans l'agriculture française d'aujourd'hui.
Des modèles « en rupture »
Les deux autres scénarios proposent des ruptures par rapport au développement de l'agriculture française depuis l'après-guerre. Ainsi, le scénario intitulé la « ferme-firme » voit l'agriculture comme une activité économique « banale ». Elle a recours aux technologies de pointe et est financée par des capitaux extérieurs du type « spéculateur ». L'agriculteur n'est qu'une « ressource humaine ». Dans ce modèle, les aides européennes de la Pac n'ont plus de raison d'être, c'est la loi du marché qui prime.
Enfin, l'agriculture « territorialisée » met le secteur agricole au service d'un territoire jusqu'au sens environnemental du terme. Ce modèle privilégie la polyculture sur des exploitations de taille moyenne. Ce modèle « réinventera le système de coopératives », explique Jean-Marie Gilardeau. Les exploitations seront financées par des deniers publics ou des fonds issus de l'épargne solidaire et leurs objectifs de production agricole seront associés à des objectifs d'intérêt général comme l'entretien des paysages ouverts, la gestion des zones de captage d'eau potable, etc. « Bien malin qui pourrait deviner ce que l'avenir nous réserve ! », affirme Jean-Marie Gilardeau. Chaque scénario dispose de logique propre et dépend pour beaucoup des choix politiques d'hier et de demain.
Cependant, il appartient aux acteurs du monde agricole de définir l'orientation qu'ils souhaitent donner à l'agriculture des prochaines décennies et de tirer plus ou moins sur les différents leviers afin de tendre vers un système qui mélange des caractéristiques de chacun des quatre scénarios. « Selon moi, les frontières de ces scénarios dont les modèles se dessinent aujourd'hui, sont plus poreuses qu'hermétiques, et c'est tant mieux », conclut Jean-Marie Gilardeau.
C. P. avec Agrapresse
TÉMOIGNAGE / Florent Mellet, premier vice-président de Jeunes agriculteurs de Haute-Savoie a pris le temps d’imaginer l’agriculture du futur.
“Deux agricultures coexisteront”
Des drones pour surveiller le troupeau ?
Les avancées technologiques, Florent Mellet les voit plutôt réservés aux grosses fermes de plaine, plus industrialisées, qui pourront se permettre d’investir. Encore que… « Peut-être existera-t-il des robots de traite pour alpages, des drones pour surveiller le troupeau… », suggère-t-il. Car au bout du compte, l’agriculteur ne pourra pas vivre en marge de la société, la technologie devra rendre le travail moins pénible. « L’agriculteur ne pourra pas travailler 70 heures pendant que le reste de la population est à 35 heures. » Quand à la révolution environnementale, elle se fera sûrement, « mais à condition que le consommateur soit prêt à payer le prix. Il a peu conscience aujourd’hui du coût réel des denrées alimentaires ». Enfin, selon le jeune agriculteur, le rôle clé de l’agriculteur dans l’aménagement du territoire sera valorisé. « Il y a une prise de conscience sur le rôle majeur de l’agriculture dans l’aménagement et l’attractivité économique et touristique d’un secteur géographique. Ce sont des projets qui émergeront du terrain qui, demain, feront vivre les territoires montagneux comme les nôtres. » Et de conclure : « Je crois en l’avenir. Nous serons capables de conquérir de nouveaux marchés avec nos produits du terroir. »