Vidéo de l'Aspas : « une approche simpliste et puérile »

«Début novembre, des membres de l'Aspas ont pénétré dans le parc électrifié où pâturaient nos brebis dans le but de faire "la preuve" de l'inefficacité des mesures mises en œuvre par les éleveurs pour protéger leur troupeau des attaques de loups, réagit Margot Jobbé Duval, éleveuse dans le Glandage. Ils ont filmé cette intrusion et diffusé la vidéo sur internet. Dans celle-ci, nous apprenons que "des éleveurs qui ne font pas leur boulot, ça n'a rien d'exceptionnel. Ici, du côté de Glandage, ils méritent bien leur nom". La violence de ces propos diffamatoires pourrait facilement nous entraîner sur le terrain des querelles stériles entre "pro-loups" et "anti-loups", entre les "écolos" et les éleveurs, soit disant "anti-écolos". Il nous semble néanmoins important de réagir à cette provocation qui repose sur une approche simpliste et puérile de la question sans jamais apporter d'éléments de fond. »
« Enfermer les bêtes ? »
« Nous sommes paysans sur une petite ferme de montagne, en polyculture-élevage, poursuit Margot Jobbé Duval. Nous produisons des légumes en traction animale, à partir de semences paysannes et biologiques. Nous avons des ruches, des poules, des cochons et un troupeau de brebis mérinos qui parcourt les landes avoisinantes, produit de la viande, un peu de lait pour la famille et de la laine que nous transformons localement. Toutes nos productions sont vendues en circuit court. Nous avons construit notre ferme sur l'association de l'agriculture et de l'élevage dans un souci de cohérence globale et d'autonomie. Le choix de l'agriculture biologique et de la traction animale nous permet de mettre en pratique nos préoccupations environnementales.
Nous sortons nos brebis la journée dans des parcs électrifiés et les rentrons la nuit en bergerie. Le loup attaquant encore majoritairement la nuit, nous avons jusqu'à maintenant été épargnés. Mais nous vivons cette situation comme un sursis ; que le loup vienne à attaquer le jour et c'en est fini de notre élevage, ajoute l'agricultrice. Ce que montre cette vidéo, c'est avant tout à quel point ses auteurs ignorent tout de nos pratiques. Si l'on suit le raisonnement de l'Aspas, le seul moyen de faire de l'élevage en présence du loup consiste à enfermer les bêtes : hors sol et élevage industriel. Mais nous arriverions là aux antipodes de l'élevage pastoral.
Compte tenu de l'absence de moyens de protection réellement efficaces contre le loup, l'élevage pastoral n'a aucune chance face à ce prédateur. On aura alors perdu la biodiversité et la richesse culturelle liées au pastoralisme, au bénéfice d'une seule espèce, aussi emblématique soit-elle.
Le discours de l'Aspas est basé sur une vision de la nature anthropocentrée, symptomatique des pays riches, urbanisés et coupés de leurs racines paysannes, estime Margot Jobbé Duval. Par ce discours simpliste, l'Aspas prend le rôle du gentil protecteur de la nature et laisse apparaître les éleveurs comme des sanguinaires anti-écolos. Position hypocrite et irresponsable qui fait croire que la société et la nature ne tireront que des bienfaits d'une protection totale du loup, quitte à sacrifier l'élevage pastoral, son patrimoine humain et culturel et la biodiversité qui lui est liée. A ce train là, le loup ne risque-t-il pas d'incarner plutôt une forme de nature totalitaire ? »
« A l'envers de toutes logiques »
« Par souci de non-violence, je trouvais que ça ne servait à rien de répondre. Mais les choses vont trop loin, écrit Fanny Christophe, éleveuse à Menglon. L'Aspas nous accuse de ne pas protéger nos troupeaux. Est-ce parce que l'on a choisi un métier d'extérieur que n'importe qui a le droit de pénétrer chez nous ?
Pour nous protéger, nous pouvons mettre des chiens de protection, qui, pour être véritablement efficaces, doivent être agressifs (très agréable pour nous de travailler dans ces conditions, de le partager avec nos enfants et d'avoir de bons rapports avec nos voisins et usagers de nos campagnes !). Mais s'ils mordent, pour nous, cela veut dire : gendarmerie, tribunal et, pour le chien, euthanasie !
Nous pouvons aussi faire d'immenses parcs de protections qui gâchent la beauté de nos paysages et demandent un surplus de travail (alors que nous ne connaissons ni les week-ends, ni les 35 heures), ajoute Fanny Christophe. Parcs de nuits qui nous obligent à travailler à l'envers de toutes logiques agronomiques : surpâturer les zones proches et dégagées et abandonner les quartiers éloignés et boisés. Je croyais que l'écologie, c'était la biodiversité, avoir un maximum de faune et de flore différentes.
On a, a priori, l'air un peu benêt mais notre travail est réfléchi et c'est une réelle passion qui nous anime, confie l'éleveuse ; on peut la comparer à celle d'un parent avec son enfant.
Il y a encore un autre moyen de se protéger, c'est le fusil. Mais je ne développe pas, c'est assez parlant. Finalement, le meilleur moyen serait encore de rester dans nos bergeries. Zéro pâturage. Il faudrait des hectares en plus. Défrichements. On ferait venir du foin et du grain des plaines plus fertiles... Et puis finalement, ça nous coûterait trop cher, ça ne correspondrait plus à nos convictions, alors on vendrait nos bêtes, on partirait. Ce qui veut dire moins d'enfants dans les écoles qui fermeraient, les petits commerces aussi. Adieux fayards et chênes, tulipes sauvages, orchidées et gentianes, morilles et chanterelles.
Alors NON, l'Etat ne fait pas la chasse au loup. L'Etat essaie de préserver la biodiversité et l'économie rurale, ajoute Fanny Christophe. Et je pense que ce même Etat a bien d'autres vrais problèmes à gérer. Le loup n'est pas en voie de disparition.
Tant qu'il y aura des gens qui meurent de faim dans le monde, tant qu'il y aura de l'inégalité sociale, je ne peux admettre que l'on consacre autant d'énergie pour protéger un animal (je le redis, qui n'est pas en voie d'extinction) au détriment de familles qui, au contraire, mettent toute leur énergie dans l'écologie (au sens noble). Alors si vous aimez vraiment la nature, laissez-nous faire notre travail en paix, demande Fanny Christophe, et consacrez votre immense énergie à toutes ces causes qui en ont besoin. »