Vins : « Rhône », un patrimoine collectif à protéger

« Je suis arrivé à la tête du syndicat en 2004, dans une situation très délicate et avec des modèles économiques difficiles à tenir, à 90-95 euros/hl, alors que les cours de référence se situaient à 125-130 euros/hl. Depuis 2013, nous avons retrouvé un juste niveau », rappelle le président du syndicat des Côtes-du-Rhône, Philippe Pellaton, réélu pour trois ans. Cette reprise des cours, associée à une augmentation qualitative du rendement et à l'utilisation à bon escient du VCI (volume complémentaire individuel), sorte d'assurance récolte qualitative et quantitative, a redonné des couleurs aux vins de la Vallée du Rhône. « Nous avons également engagé un important travail sur la restructuration du vignoble, autour de cépages qualitatifs, et de blancs qui performent bien aujourd'hui. Nous avons travaillé sur le cahier des charges, limitant la prédominance du grenache qui est parfois alcooleux ou capricieux, au profit d'autres cépages : syrah, mourvèdre, marselan...»
« Une vraie dynamique »
Dans le cadre de la hiérarchisation, Sainte-Cécile-les-vignes, Vaison-la-Romaine ou encore Suze-la-Rousse ont obtenu la reconnaissance en tant que Côtes-du-Rhône villages avec nom de commune. Nyons devrait être la prochaine. Sous son mandat, Cairanne a accédé à la consécration, devenant un cru ; un parcours sur lequel s'est engagé Laudun. « La procédure est avancée aux deux tiers », précise Philippe Pellaton. Positionnement, volumes, hiérarchisation, cahier des charges, « nous avons engagé une vraie dynamique sur l'appellation ». Le syndicat travaille également sur une extension de l'aire d'appellation, de façon « tactique et mesurée », avec des demandes de reconnaissance vers Tain-l'Hermitage et Vienne, pour le passage d'IGP vers l'AOP. Et au Sud, où il s'agit plutôt d'ajustements dans la dentelle, une parcelle de ci, de là ; si ce n'est dans le Gard, à Montfaucon, commune entourée de Côtes-du-Rhône et dont la mairie n'avait pas voulu, dans les années 1930, la reconnaissance en AOP.
Un usage fortement réglementé
L'export a également retrouvé des couleurs, représentant 25 % des ventes à l'époque et 33 % aujourd'hui. Mais qui dit croissance des ventes, notamment à l'export, dit également hausse des tentatives d'usurpation. Avec l'appui du service juridique et international de l'Inao ainsi que d'un cabinet d'avocats, le service juridique du syndicat souhaite poursuivre les actions menées jusqu'à présent, notamment la surveillance des dépôts de marques, et les renforcer. « Le Rhône est une richesse collective et il n'est pas possible de prétendre se l'approprier pour une marque », explique Philippe Pellaton. Pour mener à bien cette mission, il a fallu tout d'abord clarifier les règles à l'intérieur même de l'appellation. « Nous devons codifier et sacraliser toutes les expressions avec le terme "Rhône", afin de pouvoir les défendre des autres utilisations », poursuit le président. On ne peut en effet pas imposer aux tiers, ce qui n'est pas respecté en interne. Au-delà des CDR génériques et villages, où le mot Rhône appartient à l'appellation, son utilisation pour les crus est plus délicate. « Si cela est stipulé dans le cahier des charges, les crus ont la possibilité d'utiliser la mention, mais uniquement en tant que cru des Côtes-du-Rhône. » Tous les crus n'ont pas intégré cette possibilité dans leur cahier des charges, notamment Châteauneuf-du-Pape ou encore Rasteau.
Préserver la hiérarchie
Pour donner un exemple, le nom d'une cuvée Terre du Rhône est utilisable en Côtes-du-Rhône, avec certaines réserves typographiques (taille des caractères deux fois plus petite que l'appellation), mais pas en Gigondas (cru). L'évocation du terme Rhône dans la raison sociale est également tolérée, mais cela ne doit pas devenir une marque. Ces règles établies, le syndicat a engagé des discussions avec les opérateurs du vignoble pour, dans un premier temps, une approche pédagogique et des échanges au cas par cas. Mais si les protocoles d'accord échouent, « nous n'hésiterons pas à aller au contentieux », ajoute un président déterminé.
Pour l'ensemble des opérateurs de la Vallée du Rhône, seule la mention « Vignoble de la Vallée du Rhône » est autorisée pour tous. Ainsi, pour les autres appellations de la Vallée du Rhône, communément appelées satellites (Clairette de Bellegarde, Costières de Nîmes, Côtes du Vivarais, Duché d'Uzès, Grignan-les-Adhémar, Luberon, Ventoux), seule est possible l'utilisation de « Vignoble de la Vallée du Rhône ».
Extension à l'international
Au-delà des opérateurs nationaux, un grand pan du plan de protection va concerner l'international. « Nous devons éviter la dilution et le brouillage des messages sur des utilisations exotiques du terme Rhône », poursuit Philippe Pellaton. Ainsi, à l'étranger, on peut retrouver des versions à la phonétique troublante, telle en Afrique du Sud cette cuvée « Goats do Roam » mais aussi sa sœur « Goat Roti ». En Chine, on retrouve également beaucoup de dépôts de marque à l'identique, avec la difficulté qu'elles sont souvent déposées sous la forme d'idéogramme. Un état des lieux de la protection de l'appellation dans les différents pays va ainsi être réalisé, afin de mettre en place une veille et des actions adaptées aux différentes situations. « Nous avons souvent été sur la défensive, nous devons passer à l'offensive », conclut Philippe Pellaton.
Magali Sagnes