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Génétique

Viticulture : le long chemin vers la résistance au mildiou

Malgré les progrès de la sélection génétique et l'apparition de variétés résistantes, la réduction de l'usage des fongicides est un long chemin : la preuve avec une maladie emblématique, le mildiou.
Viticulture : le long chemin vers la résistance au mildiou

Dans le secteur viticole, les cépages résistants commencent tout juste à apparaître, fruits de plusieurs décennies de recherche. Quatre cépages de l'Inra ont ainsi été inscrits en janvier 2018 au catalogue français des variétés végétales. De plus, sept variétés étrangères ont été inscrites dans d'autres pays de l'UE, ce qui les rend potentiellement opérationnelles dans les vignobles français mais à condition qu'elles franchissent l'examen qu'est le classement des cépages en France. Pour la suite, 25 cépages résistants sont en cours d'étude à l'Inra, selon Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, directeur général de l'Institut français de la vigne et du vin (IFV).
Tous ces cépages résistants proviennent d'hybridations entre les vignes de la famille Vitis Vinifera, qui est la famille des vignobles européens, et des familles de vignes américaines et asiatiques. La filière viticole et les chercheurs espèrent ainsi combiner les acquis de la sélection séculaire européenne, qui font que les cépages européens sont enviés dans le monde entier, et les avantages de résistance des vignes américaines et asiatiques.
Deux foyers de développement des cépages résistants sont prometteurs : l'IGP du Pays d'Oc avec les vins de cépages, et les vignes situées près des habitations, selon Jean-Pierre Van Ruyskensvelde. « On peut parier sur une forte attente des vignerons à implanter en premier lieu ces vignes résistantes dans les rangs qui sont les plus proches des habitations », estime-t-il. Les vignerons devraient planter 50 à 60 ha de vignes des cépages résistants de l'Inra en 2019, puis 175 à 200 ha en 2020, assure Jean-Pierre Van Ruyskensvelde.

La crainte de perdre des caractères de qualité

Pour la vigne, l'apport de résistances renforcées peut se faire au détriment de la qualité. C'est ce que redoutent des membres de la filière viticole. Dans une tribune au quotidien Le Monde du 26 février, le vigneron bordelais Xavier Planty estime que les croisements successifs entre Vitis Vinifera et les cépages américains « vont faire perdre ses caractéristiques au cépage d'origine ». Au moment même où « nos plus anciens cépages sont désormais sauvegardés dans des conservatoires pour ne pas voir s'éteindre les variétés locales et notre patrimoine génétique viticole », « des apprentis sorciers mettent en danger l'incroyable diversité de ce patrimoine », alerte-t-il. D'où la crainte de voir disparaître la typicité d'un vin dont le cépage d'origine serait « diminué, voire quasi disparu ». Face à cette objection, l'IFV et l'Inra rappellent que les nouveaux cépages sont passés au crible de tests de dégustation à l'aveugle, comme tout cépage, et cela tant dans les structures de recherche et de sélection que dans les syndicats d'AOC et d'IGP.

Le problème des mutations de pathogènes

Autre écueil mis en avant par Xavier Planty : le mildiou « est capable de s'adapter et de muter pour contourner la résistance génétique. Les premiers résultats le démontrent déjà ». En outre, « on sait que les souches d'agents pathogènes mutent, mais on ne sait pas à quelle vitesse » dans le domaine de la vigne, indique Christophe Schneider, chercheur à l'équipe de génétique et d'amélioration de la vigne au centre Inra de Colmar. On sait seulement que la mutation est plus rapide sur un vignoble de 100 000 ha d'un même cépage que sur une surface de vigne de 1 000 ha. Certains agents pathogènes restent longtemps à l'état latent, puis peuvent devenir agressifs au bout de cinq ans, précise-t-il.

Les stratégies pour verrouiller les contournements

Face au risque de contournements des résistances par des pathogènes mutants, la recherche a mis au point des résistances polygéniques : puisqu'un gène de résistance peut être contourné à plus ou moins long terme, deux permettent de verrouiller les contournements par les pathogènes mutants. « Le choix que l'on a fait est de chercher à faire des constructions avec plusieurs gènes, donc au moins deux gènes de résistance au mildiou et deux à l'oïdium (ce sont des variétés Inra de ce type qui sont inscrites depuis janvier 2018) et prochainement ayant trois gènes pour le mildiou et trois pour l'oïdium », indique Christian Huyghe, directeur de l'agriculture à l'Inra et président du CTPS.
Autres précautions pour parer aux contournements : l'Inra travaille à produire un grand nombre de variétés nouvelles et augmente la diversité des gènes utilisés, ajoute-t-il. Conscients du risque de contournement, l'Inra, l'IFV et la filière ont mis en place un suivi de la population de champignon pour voir si elle évolue génétiquement. Sur la base des données actuellement disponibles, la population évolue quand il y a un seul gène de résistance à effet modéré, mais elle n'évolue pas avec les constructions génétiques complexes. En outre, quand beaucoup de variétés seront sur le marché, il faudra être vigilant pour que, dans un territoire donné, il y ait plusieurs constructions génétiques déployées. Ultime filet de sécurité : « si jamais tout cela ne suffit pas et que l'on voit un risque d'évolution de la population, il faut que l'utilisation de produits phytosanitaires ou de biocontrôle permette de limiter cette évolution », conclut Christian Huyghe. 

M. N.

 

La tentation de recourir aux NBT

Les New breeding technologies (NBT), ou techniques d’édition de gène, pourraient accélérer le développement des résistances au mildiou. La directrice du département de biologie et d’amélioration des plantes de l’Inra, Carole Caranta, explique qu’un gène a été identifié sur Arabidopsis thaliana qui, lorsqu’il est inactivé, permet d’obtenir une résistance à différents agents pathogènes dont le mildiou. Des travaux ont depuis été lancés en vigne pour mettre en œuvre cette technique. Ces travaux sont pour l’instant réservés aux chercheurs. Les entreprises de sélection n’y ont pas recours en France, compte tenu des incertitudes juridiques. Jean-Paul Bordes, directeur de l’Acta, la tête de réseau des instituts techniques agricoles, estime qu’il est dommage que la sélection se prive de ces outils rapides d’introduction, d’activation ou d’inactivation de gènes. « On se tire une balle dans le pied », estime Arnaud Delacour. « On pourrait aller beaucoup plus vite dans les résistances au mildiou, à la sécheresse, dans la diminution de la capacité à germer afin d’éviter les anti-germinatifs de synthèse », a-t-il suggéré.
En vigne, la technologie classique de l’hybridation présente l’avantage de recréer de la diversité génétique en recombinant des chromosomes différents, souligne Christophe Schneider. Les NBT peuvent en revanche permettre de mieux connaître le génome de la vigne et ainsi de découvrir de nouveaux gènes, par exemple de résistance à la sécheresse, selon Jean-Pierre Van Ruyskensvelde. À terme, les NBT pourraient être utilisées aussi dans la sélection variétale, face à la concurrence de pays qui n’hésitent pas à foncer dans cette voie, comme la Chine, a-t-il ajouté. Néanmoins l’adoption de ces technologies dépendra aussi de leur acceptation par les consommateurs pour ce produit à forte image qu’est le vin.