Zones vulnérables : des cartes qui déroutent

Les responsables agricoles ont participé le vendredi 8 juillet à une réunion à l'agence de l'eau, à Lyon, à l'invitation du préfet coordonnateur du bassin Rhône Méditerranée, Michel Delpuech, représenté par le SGAR (secrétaire général pour les affaires régionales), Guy Lévi. Une rencontre qui marque le point de départ de la concertation de la procédure de révision des zones vulnérables aux nitrates d'origine agricole. Les cartes proposées se veulent une véritable remise à plat à partir des résultats de la campagne de surveillance nitrates (1er octobre 2014-30 septembre 2015), et selon des critères définis par l'arrêté ministériel du 5 mars 2015 qui laissent peu de place à la négociation. Conséquence aussi du contentieux avec l'Union européenne (pour insuffisance de désignation des zones vulnérables en 2007) qui faisait planer la menace d'une très lourde amende sur la France.
Zonage étendu
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Ces cartes intègrent de nombreuses communes jusqu'ici hors zone. Elles ont fait bondir la profession agricole. L'administration plaide la bonne foi. «La première ébauche de la carte comptabilisait 3 111 communes en zones vulnérables. Nous les avons ramenées à 1 833 suite à des échanges avec la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) », explique Guy Lévi. Par ailleurs cette révision est menée en parallèle avec celle des zones sensibles à l'eutrophisation (relatives aux eaux résiduaires urbaines) afin que les efforts soient partagés entre l'agriculture et les collectivités. À ce jour, 21 masses d'eau (395 communes) apparaissent encore en « grisé »sur les cartes. Elles font l'objet d'expertises complémentaires et pourraient, selon les résultats, rester ou sortir du zonage. Mais il en faudra plus pour calmer une profession excédée. Certains départements comme la Haute-Saône, le Jura, l'Ain, la Drôme ou le Vaucluse sont particulièrement concernés par l'extension du zonage.
Michel Joux : « 18 mg/litre: c'est une position dogmatique! »
La première pomme de discorde concerne le seuil retenu pour le classement en zone vulnérable. La France a fixé le sien pour les eaux superficielles à 18 mg par litre, soit presque trois fois inférieur au seuil européen (50 mg/l)! « C'est bien une décision de Paris et non de Bruxelles. C'est une position dogmatique. Suite aux grandes manifestations agricoles de l'été dernier, Manuel Valls s'était engagé à ce qu'il n'y ait pas de surtransposition de la législation européenne dans la loi française. Il n'a pas respecté sa parole », tempête Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes. Par ailleurs, la méthode utilisée - percentile 90*- fait également débat. « Il suffit d'une seule mauvaise analyse sur dix pour que tout le bassin versant soit classé en zone vulnérable. Ce n'est pas acceptable », réagit Frédéric Perrot, président de la FRSEA Bourgogne-Franche-Comté.
Dans de nombreux cas, un doute subsiste sur l'origine de ces contaminations aux nitrates. « Nous attendons une confirmation de l'origine agricole. Certaines communes classées sont en zone viticole. C'est incompréhensible. Il faut approfondir les analyses. Il y a sur ce territoire de nombreuses résidences secondaires non reliées à une station d'épuration...», fait remarquer André Bernard, président de la chambre d'agriculture du Vaucluse. Un point de vue partagé dans le Jura, « où les stations d'épuration déclinent et jouent un rôle majeur dans la contamination des eaux », poursuit Frédéric Perrot. Gilbert Guignand, président de la chambre d'agriculture Auvergne-Rhône-Alpes, s'étonne pour sa part que seules les stations d'épuration couvrant plus de 10 000 habitants soient contraintes à un traitement complémentaire de l'azote.
« Il faut financer la mise aux normes à 100% »
Cette définition d'un nouveau zonage arrive au pire moment pour les exploitants. « Vu la crise sans précédent que traverse l'agriculture, il nous faudra un financement des mesures de mises aux normes à 100 %, insiste Michel Joux. Certains jeunes installés sont aujourd'hui obligés de rendre leur DJA, faute d'avoir pu financer les travaux dans les zones classées entièrement, c'est scandaleux. » En Bourgogne-Franche-Comté, l'inquiétude est aussi palpable. « On va nous
demander encore des investissements improductifs. Le risque, c'est que les agriculteurs de 50-55 ans sans repreneur décident de mettre la clé sous la porte plutôt que d'investir. Vous allez faire disparaître des exploitations», assure Frédéric Perrot.
Un délai supplémentaire ?
La profession souhaite maintenant étudier point par point les analyses qui ont mené au classement de certaines zones. « Avec la période d'été, c'est irresponsable de nous donner seulement un mois pour mener les concertations locales. Il nous faut au minimum un mois supplémentaire », insiste Gilbert Guignand. Sur ce point, l'administration semble plutôt ouverte, à condition que le calendrier soit harmonisé avec celui de l'autre bassin, « Loire Bretagne ». Il n'empêche que certains responsables agricoles se montraient dubitatifs à la sortie de cette réunion, craignant que cette concertation ne permette que des modifications à la marge du projet de zonage. La profession doit plus
que jamais rester mobilisée sur le sujet.
D. B.
Réaction / Anne-Claire Vial, présidente de la chambre d'agriculture de la Drôme, réagit aux évolutions de la directive nitrates et explique le travail réalisé par la profession agricole.
« Combattre l'absurdité »
Le dossier directive nitrates est une nouvelle fois source de débat entre l'administration et le monde agricole, n'est-ce pas ?Anne-Claire Vial : « Oui car comme nous le savons tous, nous sommes sur des normes administratives et franco-françaises que rien ne justifie. De plus, dans cette nouvelle révision, on nous amène à des normes de 18 mg par litre de nitrates en eau superficielle pour soi-disant éviter l'eutrophisation. Or, n'importe quel scientifique confirmera qu'il n'y a aucun lien entre ce problème et la quantité d'azote. J'ajoute qu'un seul dépassement de norme sur douze mois et sur un seul point géographique entraîne le classement en zone vulnérable de l'intégralité de la masse d'eau ! Bien évidemment, seule l'activité agricole est regardée. Nous avons atteint le sommet de l'absurdité. »Face à cela, comment le dossier est-il traité dans la Drôme ?A-C. V. : « A la chambre d'agriculture comme à la FDSEA, nous sommes évidemment conscients des enjeux financiers pour les exploitations. Jean-Pierre Royannez, premier vice-président de la chambre d'agriculture, et moi-même sommes en responsabilité sur ce dossier tant à la région qu'au département. Nous avons étudié le décret du ministère de l'Environnement et discuté dès le mois de juin avec la Dreal pour ouvrir les points de concertation. Très concrètement, s'agissant de la Drôme, nous avons retenu trois ouvertures sous-entendues dans les textes. D'une part l'étude de la compartimentation* des masses d'eau (dans l'objectif de circonscrire la zone classée), d'autre part l'impact potentiel des rejets des stations d'épuration (notamment pour les eaux superficielles). Et, enfin, la présence d'une surface agricole utile inférieure à 2 % de la superficie communale (donc sans impact sur la qualité de l'eau). »Après cette première phase de négociation et d'appropriation du dossier, comment avez-vous travaillé cet été ?A-C. V. : « Nos collaborateurs ont fait un travail approfondi dans ces directions pour les communes nouvellement classées dans la Drôme. En août, nous avons transmis au préfet de la Drôme et à ses services nos éléments d'appréciation. Cela s'est fait d'une part lors de la visite du préfet à Sainte-Eulalie-en-Royans (NDLR : lors de la tournée organisée par la FDSEA), d'autre part lors d'un rendez-vous de travail à la préfecture courant août. Ils seront transmis dans les tous prochains jours à la Dreal Auvergne Rhône-Alpes, administration en charge de l'élaboration du futur arrêté régional de définition de la future zone vulnérable. »Etes-vous confiante dans la réduction de cette zone ?A-C. V. : « En l'état, le service production animale de la chambre d'agriculture a réalisé durant l'été un inventaire. Il en ressort que plus de 170 élevages sont concernés, dont 38 caprins, 6 porcins, 30 volailles et le reste en bovins. Il est impensable d'en rester là dans un contexte de crise agricole grave. Nous nous battrons jusqu'au bout sur ce dossier. » * Au sein d'une masse d'eau, si un fonctionnement hydrogéologique différenciée peut être mis en avant, cela peut justifier de compartimenter cette dernière et donc de ne pas classer l'intégralité de la masse d'eau souterraine en zone vulnérable.