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INNOVATION

Des lapins sous les pommiers : l’Inrae valide la piste

À Saint-Marcel-lès-Valence, les scientifiques de l’Inrae ont testé la possibilité de faire cohabiter élevage de lapins et production fruitière dans un système conduit en agriculture biologique. Un projet baptisé « Lapoesie » pour « Lapin, pommier et bénéfices écosystémiques interspécifiques ».

Des lapins sous les pommiers : l’Inrae valide la piste
« En matière de gestion de l’enherbement, les lapins réalisent un nettoyage au pied de l’arbre plus efficace qu’un outil de travail du sol », relève Stéphanie Drusch, ingénieure d’études à l’Inrae. ©Stéphanie Drusch - Inrae

Pour les arboriculteurs, qui dit lapin dit risque d’attaque sur le tronc des arbres. « Introduire des lapins en verger est plutôt contre-intuitif », reconnait Stéphanie Drusch, agronome et ingénieure d’études sur le site Inrae de Gotheron (Saint-Marcel-lès-Valence). Elle vient pourtant avec plusieurs de ses collègues chercheurs, mais aussi avec des éleveurs et des arboriculteurs, de travailler très sérieusement sur ce sujet et d’en sortir de premiers résultats.
« La demande est venue de nos collègues de l’unité spécialisée sur l’élevage de lapins du centre Inrae de Toulouse. Leur réflexion portait sur le développement de systèmes d’élevage plus respectueux du bien-être animal », retrace Stéphanie Drusch. Le postulat de départ était que l’arbre peut offrir une protection aux lapins contre la prédation, face aux aléas climatiques - froid ou excés de chaleur - mais aussi enrichir le milieu dans lequel évolue l’animal comparé à une prairie classique, utilisée par les cuniculteurs en élevage biologique (AB).

Parcs mobiles sur le rang

L’unité expérimentale de Gotheron, spécialisée sur les systèmes de cultures durables en arboriculture fruitière, a donc mis à disposition du projet un verger de pommiers en fin de vie dont l’arrachage était programmé. Ainsi, si la cohabitation avec les lapins se passait mal, les dégâts sur arbres n’auraient pas d’incidence pour le site. Mais comment introduire des lapins dans un verger ? « Nous avons travaillé de concert avec nos collègues de Toulouse sur des prototypes pour cette expérimentation : l’un avec une cage mobile (3 m² pour 12 lapins) que nous déplacions chaque jour sur l’inter-rang, l’autre avec un parc à ganivelles (25 m² pour 12 lapins) en parc fixe sur le rang. Les troncs des arbres étaient protégés par des manchons », détaille l’ingénieure d’études.
En décembre 2021, l’Inrae a soumis à des arboriculteurs et à des éleveurs ces premiers prototypes, afin d’affiner le dispositif expérimental. L’entretien sur le rang a été défini comme prioritaire mais il fallait imaginer une nouvelle solution pour disposer d’un parc mobile adapté au contexte du verger (palissé, premier fil à 80 cm du sol) et plus facile à déplacer que des ganivelles. « Sur l’idée d’Alexis Rodriguez, technicien sur le site et qui participe au projet, nous avons conçu un nouveau prototype de parc à partir de panneaux de grillage rigide soudé, fixés sur des fers à bétons », poursuit Stéphanie Drusch. Un suivi expérimental complet a pu être réalisé à l’automne 2022. Durant cinq semaines, 24 parcs accueillant chacun six lapins ont été installés, douze dans le verger, douze sur une prairie cultivée. Chaque parc mesurait 7,5 x 2,5 m, une largeur adaptée à un positionnement sur le rang du verger (1,25 m de part et d’autre du rang), permettant si nécessaire le passage d’un tracteur sur l’inter-rang. Lapins et arbres ont été suivis attentivement par les chercheurs pendant cinq semaines.

Nettoyage très efficace au pied de l’arbre

Certains résultats sont encore en cours d’analyse (notamment l’effet pâturage sur la fertilisation) mais des observations intéressantes peuvent déjà être tirées de ce dispositif expérimental. La première est que la cohabitation lapins et pommiers est possible. Les animaux doivent être étroitement surveillés, notamment la première semaine pour détecter des signes cliniques précoces (coccidiose par exemple, lire ci-dessous). Les troncs des arbres doivent être protégés et la hauteur des manchons adaptée à la taille attendue de l’animal en fonction de sa race. « En matière de gestion de l’enherbement, les lapins réalisent un nettoyage au pied de l’arbre plus efficace qu’un outil de travail du sol. Plus le parc est grand, moins on a besoin de le déplacer. Il faut cependant trouver le bon compromis entre investissement matériel et temps nécessaire pour bouger l’installation », observe Stéphanie Drusch. Quant aux effets de ce pâturage sur la réduction de l’inoculum de la tavelure, celui-ci reste à démontrer. L’ensemble des résultats du projet Lapoesie seront présentés lors du salon Tech&Bio à Bourg-lès-Valence les 20 et 21 septembre prochains.

Sophie Sabot

Vers un nouveau modèle de vergers ?

« Si nous devons poursuivre les travaux sur les effets du pâturage des lapins sous pommiers, il nous faudra travailler sur un nouveau modèle de vergers qui permette notamment de circuler facilement sous le rang, sans passer sous des fils de 80 cm pour gérer les lapins », estime Stéphanie Drusch. Cela pourrait passer par un modèle où la zone de production est relevée et peut-être aussi par un élargissement de l’inter-rang dans l’objectif de réfléchir à la cohabitation de plusieurs espèces animales tout au long du cycle végétatif. « Par exemple des moutons au printemps qui sont plus faciles à déplacer en cas de traitement sur les arbres, puis des lapins à l’automne », poursuit l’ingénieure d’études. Sans oublier la possibilité d’une récolte fourragère mécanisée si besoin. Bref, un modèle de verger qui pourrait permettre d’associer plus facilement arboriculture et élevage et donc de diversifier les systèmes d’exploitation. 
S. Sabot

Bonne santé  et bonne croissance

Bonne santé  et bonne croissance
La croissance des lapins a été satisfaisante. Le poids d’abattage a été atteint en 73 jours.© Valérie Fillon - Inrae

« L’expérience montre que l’élevage avec une gestion individualisée de la santé, comme nous l’avons développé et conduit, permet le maintien en bonne santé des animaux. La croissance des lapins a été satisfaisante. Le poids d’abattage a été atteint en 73 jours », commente Stéphanie Drusch. « Pour référence, en élevage hors-sol en cages, les lapins atteignent le poids d’abattage (entre 2,4 et 2,5 kg) entre 70 et 77 jours de vie, avec une alimentation uniquement basée sur l’apport de granulés (restriction pendant les trois premières semaines d’élevage, puis à volonté) », précise Davi Savietto, chargé de recherche à l’unité « génétique physiologie et sytèmes d’élevage » de l’Inrae. 

Des arbres fourragers pour les parcs à lapins

Des arbres fourragers pour les parcs à lapins
Lise Grandouiller et Christian Fontrobert s’interrogent sur le choix d’espèces d’arbre à implanter dans les parcs à lapins de leur exploitation. ©EARL de Lierne

En 2022, Lise Grandouiller et son associé Christian Fontrobert ont commercialisé en vente directe 125 lapins bio, nés, élevés sur la ferme et abattus à Chabeuil. Cet atelier vient compléter l’offre diversifiée de l’EARL de Lierne qui compte sur 28 ha du maraichage (plein champ et serres), des PPAM, des grandes cultures et des poules pondeuses, le tout en agriculture biologique et destiné aux circuits courts (marchés, magasin de producteurs, Agri Court...). « Nous disposons pour l’instant de 13 lapines mais nous projetons de monter à 25, soit au total avec les mâles une trentaine de reproducteurs », précise Lise Grandouiller. 
Pour l’instant, les reproducteurs sont conduits en parc mobile. « À terme, nous souhaitons disposer de deux parcs fixes, l’un de 1 500 m² pour les reproducteurs et l’autre de 2 000 m² pour l’engraissement (contre 1 000 m² aujourd’hui). Les parcs fixes limitent les manipulations et nous font gagner beaucoup de temps », estime l’éleveuse. Avec son associé, elle projette de planter des arbres pour ombrager les parcs. « Nous nous intéressons aux espèces fourragères qui offrent une ressource l’été. Nous avons déjà testé le mûrier et nous réfléchissons au frêne, noisetier, tilleul… Le projet de l’Inrae nous a permis d’avoir une approche concrète du comportement des lapins vis-à-vis des arbres », commente Lise Grandouiller. Via l’association des éleveurs de lapins bio de France dont elle fait partie, elle s’intéresse aussi aux expériences d’autres éleveurs dans ce domaine. 

S. S.