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INNOVATION

Les clés pour comprendre et s’adapter  au changement climatique

Dernièrement l’Institut technique agricole Arvalis a donné rendez-vous à la filière grandes cultures pour analyser, échanger et se projeter sur les défis agricoles des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté, dans un contexte de changement climatique.

Les clés pour comprendre et s’adapter  au changement climatique
En vingt ans, la récolte de maïs a déjà connu une anticipation de vingt jours, ou, à date de récolte constante, une baisse d’humidité du grain de 7 à 8 %. © DR

L’hémisphère nord de la planète est particulièrement touché par l’augmentation des températures. L’Europe continentale fait partie des zones les plus impactées par ce phénomène. Ce changement climatique a pour origine une plus forte concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis une quarantaine d’années. Mais d’autres éléments rentrent en jeu : « D’autres gazs, dont le méthane et le protoxyde d’azote ont un pouvoir réchauffant supérieur au CO2 », a rappelé Chloé Malaval-Juéry, ingénieure régionale Arvalis.

Diminution des jours de gel

Afin de mettre en corrélation ces affirmations avec ce qui se déroule sur le terrain, Chloé Malaval-Juéry  a relevé les données de la station météorologique de Lyon-Bron. Conclusion ? Les hivers sont de plus en plus doux, avec une forte diminution des jours de gel. « Nous avons perdu entre six et quinze jours de gel par décennie depuis 1990 », explique-t-elle. En 2021 et 2022, les données de la station de Clermont-Ferrand ont démontré que les deux tiers des pluies de l’année se sont concentrées sur quatre décades (en septembre, juin et août). 

Élévation des températures moyennes

Dès lors, à quoi pourrait ressembler le climat pour le reste du siècle ? Pour répondre à cette question, l’ingénieure a retenu le modèle Aladin et le scénario RCP4.5 du Giec* (qui correspond à une limitation modérée des émissions de gaz à effet de serre) pour les années 2035 à 2064. Pour les plaines de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ce dernier prévoit une hausse des températures moyennes entre +1,2 et +1,5°C, surtout en été. Les augmentations les plus significatives concerneraient les températures maximales (+1,3 à +1,6°C), tandis que les températures minimum augmenteraient d’1°C. Le confort hydrique se dégraderait, avec des pluies plus légèrement élevées en hiver et beaucoup plus variables sur toute l’année. Le gel serait moins fréquent, mais ne disparaîtrait pas au printemps (entre un et dix jours). Les températures extrêmes dépasseraient plus souvent les 35°C et les épisodes chauds augmenteraient en automne (au-dessus de 30°C) et apparaîtraient en hiver (au-dessus de 20°C). 
Le rayonnement serait en hausse l’été et, dans une moindre mesure, au printemps et resterait stable en automne et en hiver. Une donnée qui a suscité la réaction d’un agriculteur de Saint-Priest, conscient que le rayonnement représente un intrant gratuit pour produire de la photosynthèse. 
« Si les émissions de gaz à effet de serre sont contenues au RCP4.5 (modèle Aladin), la Tour-de-Salvagny, située dans le Rhône, aura, dans cinquante ans, le climat de Florence », conclut Chloé Malaval-Juéry. 

L’impact sur la culture des maïs

En vingt ans, la récolte de maïs a déjà connu une anticipation de vingt jours, ou, à date de récolte constante, une baisse d’humidité du grain de 7 à 8 %. L’impact du climat futur fait que toutes les phases du cycle pourraient être raccourcies et anticipées, avec une récolte avancée de trois à six semaines. Pour le blé, un avancement de tous les stades serait constaté, avec un tallage rallongé de deux à trois semaines. Les durées de montaison et de remplissage seraient néanmoins similaires à aujourd’hui, mais la récolte se déroulerait avec dix jours d’avance.
Au sein d’une culture de maïs située à Pusignan (Rhône), ces changements apporteraient plus d’opportunités pour les semis anticipés au printemps. Mais le risque de stress thermique serait plus élevé, avec peu de possibilités d’esquives. Enfin, le déficit hydrique pourrait être plus élevé autour des stades sensibles. Avec ces projections, une culture de céréales, toujours située à Pusignan, l’esquive liée à la précocification des stades permettrait de limiter la hausse des stress de fin de cycle (plus un à deux jours avec des températures maximales supérieures à 30°C et plus trois à quatre jours avec des ETP supérieurs à 6 mm). Pour le maïs, deux stratégies deviendraient dès lors envisageables : cultiver des variétés très précoces, ou adapter un cycle plus long avec des variétés plus tardives, sous réserve de pouvoir les alimenter en eau. 
Quant aux céréales d’hiver, il faudrait compléter l’évitement par des variétés plus tolérantes et diversifier les cycles des cultures pour éviter les accidents.

Léa Rochon

* Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Optimiser la ressource  en eau selon ses cultures

Favoriser l’enracinement pour accéder à la réserve en eau du sol et limiter le tassement, telle est la recette défendue par Arvalis. Un semis en deux passages donne un faible tassement sous les roues. Un profil non tassé a pour conséquence un meilleur taux de colonisation racinaire. Dès lors, quel est l’effet des tassements sur la vitesse d’enracinement ? D’après l’institut, elle est ralentie et est surtout préjudiciable aux cultures de printemps qui ont un cycle court et qui sont plus soumises à la sécheresse. Avec l’augmentation de la taille des machines, la gestion des tassements devient primordiale. Le projet Jdistas et l’outil Terranimo, qui permet de simuler les tassements de tout type de matériel, proposent déjà un exemple de visualisation du tassement d’un épandeur à lisier 14 m3 en sol limon. 
Une étude d’AgroParisTech, de 2006, a également prouvé que les couverts permanents préservent un sol limoneux de la reprise en masse. Dans le cas présenté, le couvert était installé depuis deux ans et demi dans le département des Yvelines sur un sol limoneux à 25 % d’argile. Le couvert permanent de luzerne a compensé l’absence de travail du sol. 
Enfin, l’institut a conclu que l’incorporation de matières organiques dans le sol n’augmente que de façon très limitée son réservoir utile en eau. En réalité, la relation entre la teneur en carbone et les propriétés de rétention en eau sont dépendantes de la texture du sol, l’estimation du réservoir utile étant plus important en limon argileux profond qu’en graviers superficiels. Selon Arvalis, il y a plus à perdre avec un tassement qu’à gagner avec l’augmentation des teneurs en matières organiques. Restent encore quelques pistes à approfondir, notamment le lien entre le taux de mycorhization et un meilleur enracinement. 

L. R.

Les stratégies mises en place  par les professionnels

Plusieurs agriculteurs et professionnels de la région ont été invités à prendre la parole autour d’une table ronde consacrée aux stratégies adoptées dans un contexte de changements climatiques.
Jérôme Martin, agriculteur céréalier à Loyettes (Ain)
« Nous avons 10 % de surfaces non-irriguées sur l’exploitation. Nous faisons plutôt de la luzerne fourragère pendant quatre ans et une année en blé, qui est faible en coûts de production. Mais ces dernières années, la production de luzerne non-irriguée est très compliquée. La luzerne est pilotée de façon aléatoire, comme une jachère et nous nous concentrons sur la partie irriguée. Chez nous, dans la plaine de l’Ain, l’assurance récolte, c’est l’irrigation. »
Jean-Yves Ayel, agriculteur, céréalier et éleveur laitier à Sauvessanges  (Puy-de-Dôme) 
« Je suis en polyculture élevage dans le Livradois-Forez, à 900 m d’altitude. Ma production végétale sert à alimenter le troupeau. J’ai agrandi mon exploitation de 20 ha pour tester du lupin et créer de la protéine. L’objectif est d’être 100 % autonome en énergie sur l’exploitation en stabilisant des récoltes moyennes chaque année et donc du stock tampon. Finalement, mon exploitation est plutôt résiliente, mais son point faible est le sol. J’ai un peu d’irrigation, puisque j’ai un petit atelier de maraîchage en vente directe. »
Christophe Bessard, responsable du service technique (Ets Bernard  dans l’Ain)
 « Depuis cinq ans, les cultures de printemps diminuent, tandis que le blé, le soja et le colza progressent. Ce qui est nouveau, c’est que dans les plaines de l’Ain, le maïs est la culture reine mais elle devient problématique par rapport à sa gestion en eau, aux températures et à l’augmentation du coût du gaz pour le séchage. Des surfaces de colza, blé et orge réapparaissent dans la plaine, comme il y a trente ans. Concernant la génétique, nous avons intégré des maïs plus précoces afin d’étudier sa rentabilité. Dans les bonnes situations, où il y a de l’eau, c’est le rendement qui prime. Dans notre réseau d’essais, nous classons nos variétés et faisons des essais haut potentiel et moyen potentiel. Nous cherchons la variété qui fonctionne dans les deux cas. »
Philippe Lefebvre, directeur du développement des filières et du développement durable (Oxyane)
« Nous pouvons aussi nous demander comment l’augmentation du rayonnement, et donc la capacité à produire du photovoltaïque, peuvent être une opportunité pour les agriculteurs ? C’est une façon de générer une diversification de revenus, mais aussi de faire de l’agrivoltaïsme une filière rémunératrice avec un impact de protection sur les cultures vis-à-vis de la grêle ou du gel. »