Tomate d’industrie : un vaste plan de reconquête du marché
La filière tomate d’industrie se lance dans la reconquête de ses marchés avec le projet « Tommates » qui associe un nouveau modèle d’organisation de rotation et de diversification des cultures intégrant la mise en place de méthaniseurs.

La filière tomate d’industrie a présenté, le 12 septembre, son projet de reconquête des marchés, lauréat du programme France 2030. Sobrement intitulé Tommates, acronyme pour « techniques, outils, et méthanisation pour la multiperformance agricole des territoires et des systèmes », son originalité est de déployer un nouveau modèle d’organisation de rotation et de diversification des cultures intégrant la mise en place de méthaniseurs. L’expérimentation se déroulera dans quatre départements (Gard, Vaucluse, Bouches-du-Rhône et Drôme) et trois régions (Occitanie, Paca, Aura).
« Les acteurs de la filière tomate d’industrie sont convaincus de la nécessité de relancer significativement la production et la transformation, explique André Bernard, président de Sonito (interprofession) et de la chambre régionale d’agriculture Paca. La production recule depuis plusieurs années : 350 000 tonnes en 2020 et environ 160 000 tonnes cette année. Parallèlement, la consommation de produits élaborés de tomate s’est fortement développée pour atteindre 1,2 million de tonnes cette année. Spécifiquement, la crise en 2018 qui a vu les importations exploser, a révélé une France totalement dépendante des importations pour satisfaire la couverture des besoins ». De plus, avec l’explosion des coûts énergétiques, « les industriels sont soucieux de réduire leur facture énergétique (la transformation en concentré nécessite d’importants volumes de gaz, ndlr), sans compter une taxe de pollution de plus en plus importante et la nécessité de redéployer également un sourcing France », souligne André Bernard.
Rotation de production et méthanisation
Le projet vise à développer dix sites de production de 1 200 ha dans le sillon rhodanien pour saturer les outils de transformation actuels (Le panier provençal, Louis Martin et l’unité de transformation de Bergerac dans le Sud-Ouest) et couvrir 25 à 30 % des besoins nationaux. Ces sites allieront production de tomates (assolement entre quatre et cinq mois), légumineuse alimentaire, culture de terroir (ail, céréales, melons…), riz et Cive* méthanogènes (dont des variétés mellifères), en rotation. Le projet prévoit en effet l’installation d’une douzaine d’unités de méthanisation en proximité (15 km maximum). Cela permettrait d’une part, la production de gaz décarboné pour les usines de transformation de tomates et les outils agricoles et, d’autre part, de digestat utilisé pour la fertilisation des cultures.
Une unité de transformation prévue en Drôme
« Un premier site a été repéré dans le Vaucluse. La vallée du Rhône dispose d’un réseau gaz fort mais présente aussi une forte densité démographique. C’est pourquoi nous travaillons très en amont avec les collectivités et des organisations environnementales comme France Nature Environnement (FNE) sur ce dossier », indique André Bernard. Le projet est en phase de « maturation ». Le premier site pilote avec méthaniseur pourrait voir le jour en 2026, selon le président de Sonito. L’objectif est d’installer dans un second temps une nouvelle unité de transformation en Drôme, afin de rapprocher production et transformation dans le nord du sillon rhodanien.
Dans l’immédiat, l’idée est donc de regrouper des agriculteurs d’ici 2023-2024 (le GIEE étant une structure adaptée) prêts à s’engager sur un tel projet. « Nous cherchons actuellement entre 300 et 500 hectares prêts à se lancer dans ces rotations de cinq ans, ce qui permettrait, pour la tomate d’industrie, de saturer les trois principaux outils de transformation, explique André Bernard. Nous avons aujourd’hui une marge de progression immédiate de 20 % pour ces usines françaises. »
Goutte-à-goutte et pilotage automatique
Il est vrai que le marché mondial du concentré de tomate s’est renversé depuis trois ans. « On manque clairement de production, les stocks se résument à peau de chagrin, certains pays producteurs rencontrant d’importantes difficultés hydriques, notamment l’Espagne, l’Italie et l’Argentine. En France, nous travaillons avec de l’eau qui passe dans le Rhône ou la Durance. On ne va pas prélever dans des nappes fossiles. » En effet, 98 % des exploitations françaises de tomates d’industrie sont aujourd’hui équipées de goutte-à-goutte et utilisent du pilotage automatique. « On va encore continuer d’améliorer notre utilisation d’eau, car la tomate a besoin d’eau. Mais en ramenant du digestat, on améliore aussi la capacité de rétention de nos sols. »
Les agriculteurs qui seraient intéressés pour se regrouper peuvent se faire connaître en contactant leur chambre d’agriculture ou la Sonito.
Agra et C. Zambujo
* Cive : culture intermédiaire à vocation énergétique.
Un objectif : aller chercher de la valeur ajoutée pour les exploitations

«Il n’est pas question de faire de la tomate industrie n’importe comment, n’importe où », avertit Jean-Pierre Royannez. Les dix-huit mois d’expérimentation qui s’annoncent dans le cadre du projet Tommates sont pour lui indispensables. « Nous entrons dans une phase d’incubation, précise-t-il. Nous devons étudier le potentiel de production drômois en prenant en compte les paramètres comme l’eau, les surfaces disponibles, les cultures que la tomate pourrait remplacer, la rentabilité de cette production sur les exploitations du territoire... Une fois ce potentiel calibré, se posera la question de l’implantation d’une unité de transformation en Drôme. Si on veut donner une rentabilité à la production drômoise, il faut nécessairement avoir une usine la plus près possible de la production. Sans oublier qu’il se fait aussi de la tomate sur le nord de l’Isère ou le sud du Rhône. Une usine en Drôme permettrait à ces secteurs de se développer aussi. L’idée, c’est vraiment de gagner en compétitivité pour ces territoires au nord de la vallée du Rhône. Mais on ne peut lancer un projet d’unité de transformation à plusieurs millions d'euros sans avoir bien étudié les questions en amont. »
Pour Jean-Pierre Royannez, « le but c’est d’essayer de constituer des pôles » autour d’exploitations qui pourraient se regrouper pour investir dans les équipements nécessaires (planteuse, ramasseuse). Ces exploitations pourraient également développer des protéines végétales dans les rotations, ainsi que des Cive en cultures intermédiaires pour alimenter des méthaniseurs. « N’oublions pas que la Drôme est toujours le troisième département français en production de tomates industrie et qu’elle était le premier dans les années 1990. L’idée serait de développer ces pôles autour de territoires déjà producteurs », indique le président de la chambre d’agriculture.
Et de conclure : « Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est aller chercher de la valeur ajoutée pour les exploitations. Le prix de la tomate industrie a beaucoup augmenté ces dernières années, la demande est phénoménale notamment pour l’origine France. Mais on ne veut pas faire n’importe quoi. Nous allons d’abord conduire cette phase expérimentale et, en même temps, travailler avec les acteurs économiques de notre territoire pour voir comment ils peuvent intégrer cette culture dans leurs préconisations et comment ils pourraient être intéressés pour porter un futur dossier d’implantation d’usine… Tout ce chantier est à faire. »
Propos recueillis par S. Sabot
A savoir
Des arguments économiques
La tomate d’industrie est une filière contractualisée. Les prix sont donc établis, depuis deux ans, sur l’indice de référence Ipampa, en lien avec les coûts de production professionnels. Résultat, ils sont remis à niveau tous les trois mois, soit : 80 € par tonne en 2021, 105 €/t en 2022 et 140 €/t en 2023. « Cela ne fait que rattraper le retard mais cela apporte surtout une solution à ceux qui ont des problèmes sur d’autres cultures. La croissance est possible, d’autant que les entreprises de première et seconde transformations paient à 60 jours fin de campagne max », résume André Bernard, président de la chambre régionale d’agriculture Paca et de la Sonito. En clair, aujourd’hui, les délais de paiement ont raccourci, le prix payé producteur a augmenté, et la négociation commerciale se fait autour d’entreprises économiquement fiables. « Mais tout ce challenge n’est possible que si l’on garde les moyens de protection de nos cultures, ceux qu’ont nos voisins européens », rappelle-t-il.
Dans les tuyaux
Les partenaires du projet Tommates espèrent proposer d’ici la fin de l’hiver 2023-2024 des journées de démonstration pour la partie agricole. La reconnaissance du projet va également permettre de lancer une phase d’étude sur le coût d’installation de petites unités de méthanisation (implantation, étude de voisinage, coût de raccordement au réseau gazier...).