TEXTILE
Des tissus régionaux aux usages étonnants

La région Auvergne-Rhône-Alpes abrite une production originale : celle des pochons des célèbres boules de pétanque Obut. La marque a confié à la société des Tissages de Charlieu (Loire) et à l’entreprise APF38 (Isère), le soin d’assurer le tissage mécanique, la couture et le pliage manuel de ce produit bien connu des Français.

Des tissus régionaux aux usages étonnants
Si le tissage est mécanique, des employés veillent quotidiennement à ce qu’aucun fil ne soit bloqué dans la machine. © LR Apasec

Du savoir-faire des canuts à l’avènement de l’industrie, l’ancienne région Rhône-Alpes a longtemps été un berceau de la filière textile. Dorénavant, des entreprises profitent des outils et du savoir-faire présents dans le territoire, afin de 
développer un produit 100 % français. Le célèbre fabriquant de boules de pétanque Obut en est l’exemple parfait. En 1955, période durant laquelle les Français raffolent de ce nouveau loisir, l’entreprise prend ses marques au cœur de la Loire, à Saint-Bonnet-le-Château. Cette petite commune n’a évidemment pas été choisie au hasard. Jean Blanc, alors enfant du pays, avait déposé en 1929 le premier brevet de fabrication d’une boule de pétanque en acier, réalisée à base de deux demi-sphères obtenues par découpage et emboutissage. Le savoir-faire était là. Il ne restait alors plus qu’à implanter l’usine de fabrication.

Du tissage mécanique à la confection manuelle

Soixante-dix ans plus tard, la marque Obut peut se targuer de produire 1,8 million de boules de pétanque par an et d’être devenue une référence dans le monde des boulistes. Si l’usine de Saint-Bonnet-le-Château continue de tourner à plein régime, peu d’aficionados savent que son pochon est également fabriqué en Auvergne-Rhône-Alpes. À une centaine de kilomètres de l’usine, les salariés des Tissages de Charlieu sillonnent quotidiennement les allées, à la recherche d’un fil défaillant dans une machine. Chaque année, l’entreprise tisse des rouleaux de tissus, qui, une fois assemblés, formeront les pochons des boules de pétanque Obut. En sortie d’usine, chaque rouleau mesure 100 mètres et équivaut à 1 500 pochons. La suite de l’opération se déroule à 2 h 30 de route, aux portes des Alpes. Les rouleaux de tissus sont alors livrés à l’entreprise APF38, située à Échirolles (Isère), et plus connue pour sa production de masques à grande échelle durant la crise sanitaire. Réalisation de bâches en PVC pour l’isolation de cuves, couture de pochons Obut, fabrication de gilets pour les cyclistes ou encore de housses de protection pour les hélices d’avion de tourisme… Sa production s’est désormais largement diversifiée.

3 000 pochons Obut cousus par jour

Dans l’atelier de couture d’APF38, les tissus qui formeront le futur pochon passent par plusieurs étapes. La première est la découpe du tissu, à l’aide d’un ordinateur et d’une machine. Viennent ensuite les interventions réalisées manuellement ou à l’aide d’une machine à coudre. Chaque salarié est placé à un poste bien spécifique : le recouvrement du pochon, la piqueuse afin de placer l’élastique, la surjeteuse qui ferme le pochon, le retournement, le pliage, puis le conditionnement. Au total, une vingtaine d’employés travaillent à la 
réalisation de 3 000 pochons par jour, soit un produit toutes les 15 secondes. « Une personne est à la découpe, neuf gèrent la partie couture et onze s’occupent des finitions, qui sont très importantes, puisqu’il s’agit notamment de couper les fils restants et de plier avec précision le pochon, afin qu’il passe dans les machines d’Obut », explique le chef d’équipe Jérôme Trouillon. Outre sa production textile, APF38 est également reconnue pour employer trente-huit personnes en situation de handicap. Atteinte d’une fibromyalgie et de hernies discales depuis ses 50 ans, Patricia Corboz a intégré l’entreprise en 2021, après trois années passées au chômage. « Pôle emploi m’avait 
recommandé de faire un stage de couture ici, déclare celle qui n’avait pourtant jamais travaillé dans l’industrie textile auparavant. Aujourd’hui, je suis sur le poste de surjeteuse qui me convient très bien, puisque cela me permet de garder le dos droit. » Afin de valoriser leur implantation territoriale, les Tissages de Charlieu et APF38 ont obtenu le label France terre textile (lire encadré). De quoi apporter une visibilité supplémentaire à une filière qui souhaite attirer de nouveaux profils et qui vise continuellement la qualité.

Léa Rochon

SAVOIR-FAIRE

 Les quatre étapes  de la production industrielle textile

• La filature, le moulinage et la texturation
Passer des fibres au fil puis réaliser une torsion pour donner des caractéristiques aux fils.
• Le tissage et le tricotage
Entrecroiser des fils ou entremêler des boucles pour réaliser une étoffe.
• Ennoblissement
Apporter de la fonctionnalité et des qualités esthétiques aux matières textiles par des actions mécaniques ou chimiques, les plus connues étant la teinture et l’impression.
• La confection
Couper des étoffes, les assembler et apporter des finitions. 

Focus sur le label France terre textile

Le label France terre textile fédère des industriels du textile qui ont fait le choix de maintenir un outil de production nationale. La région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a rejoint le réseau en 2016, compte 45 entreprises labellisées.

En 2011, la filière textile industrielle vosgienne a pris la décision de se fédérer autour d’un label commun. Cette initiative a donné naissance au label Vosges terre textile. Ce dernier garantit au consommateur qu’au moins 75 % des étapes de fabrication d’un produit 
textile industriel, du tissage du fil à l’article confectionné, sont réalisées par les acteurs régionaux de la filière. Un pictogramme vient ensuite indiquer que le tissage, l’ennoblissement et l’impression ont été effectués dans des entreprises agréées. Au fil des années, cinq autres régions françaises ont rejoint le projet et se sont fédérées autour d’un nouveau label : France terre textile. Ce dernier réunit dorénavant 150 entreprises adhérentes, 6 000 collaborateurs et 45 millions de produits français, autour de la préservation des savoir-faire et des emplois français. L’agrément dure trois ans et des contrôles de traçabilité sont effectués chaque année.

Fabrications françaises

« Les entités labellisées s’engagent à avoir un outil industriel en France et à travailler en synergie avec la filière française locale », explique Anne-Cécile Caschera, représentante de France terre textile en Auvergne-Rhône-Alpes. La région est entrée dans la démarche en 2016. Tandis que dans la Loire, les entreprises labellisées concernent surtout le secteur médical, le nord du département de l’Isère s’est spécialisé dans le tissage technique. L’Ardèche n’est pas en reste, puisque de nombreuses entreprises de moulinage et de texturation s’y sont implantées. Quant à Lyon, bien connue pour sa soie et ses canuts, peu d’entreprises du textile industriel ont fait le choix de s’y installer. « La cause est tout simplement historique : après la révolte des canuts, ces derniers sont allés travailler en dehors de la ville, à proximité des cours d’eau afin de pouvoir faire du moulinage », détaille la responsable.
Les acteurs du label France terre textile réfléchissent actuellement à une meilleure gestion de leurs déchets. « Ce critère n’est pour l’instant pas intégré à l’obtention du label, mais nous respectons les normes européennes à ce sujet, confie Anne-Cécile Caschera. Notre promesse est bien celle de la fabrication française. » Selon la professionnelle, l’enjeu se porterait plutôt sur le déploiement de la seconde main. « Nous devons faire rentrer les tissus recyclés dans le label, mais cela impliquerait de perdre la traçabilité du produit. »

Léa Rochon