EARL des Faviers : préserver un modèle cohérent en AOP Picodon
Sur les hauteurs de Aubres, à quelques kilomètres au nord-est de Nyons, l’EARL des Faviers explore les pistes pour adapter sa production fourragère au changement climatique et conserver un bon niveau d’autonomie alimentaire pour son troupeau de 112 chèvres.

Hugo Souriau s’est installé à Aubres sur l’exploitation familiale en 2012. Son frère Florent l’a rejoint dès 2013 d’abord comme aide familial puis salarié avant de devenir associé de l’EARL en 2019. Ensemble, ils élèvent 112 chèvres de race saanen dont la production est transformée à la ferme, la moitié en tommes à picodon pour la Maison Cavet de Dieulefit, l’autre moitié en picodons et fromages diversifiés (tomme, bleu, fromage aux herbes...) pour le marché de Nyons, un petit marché à Aubres, des épiceries, crémiers et magasins Biocoop. Le tout est labellisé bio depuis 2021.
Une fromagerie créée en six mois
« Mes parents se sont installés à la suite de mes grands-parents. Ils ont créé l’atelier caprin il y a plus de 40 ans pour atteindre 126 chèvres. Le lait était collecté par la coopérative de Crest. Ils exploitaient également 8 ha en abricots et disposaient d’une douzaine d’hectares autour de l’exploitation pour les fourrages. Ils atteignaient péniblement 40 % d’autonomie fourragère pour le troupeau. C’était un système stressant car très dépendant », se souvient Hugo Souriau. Quand il projette dès 2011 de s’installer avec sa mère, le jeune éleveur doit revoir le système pour se dégager un revenu. « La Maison Cavet cherchait des fromages à affiner. Ils étaient prêts à absorber toute notre production. En six mois, j’ai créé une fromagerie dans des bungalows. Je me suis équipé de multimoules et deux mois après mon installation la collecte de lait s’est arrêtée. Je me suis mis à fabriquer 900 à 1 000 fromages par jour, que je livrais une fois par semaine au point de collecte de l’affineur à Aubres et une fois par semaine directement à Dieulefit », détaille le producteur.
Dans la foulée, son frère Florent termine son BTS et revient comme aide familial sur la ferme. Avec sa mère, il choisit de développer la vente directe sur les marchés. « Nous avons construit un petit séchoir et commencé à affiner une partie de nos produits. Puis nous avons attaqué la construction d’une fromagerie en dur qui a été inaugurée en juillet 2015. De 33 m² dans les bungalows, nous sommes passés à un atelier de 140 m² », raconte Hugo Souriau. La taille du troupeau diminue légèrement de 126 à 112 chèvres.
Tendre vers une agriculture de conservation des sols
En parallèle, l’autonomie fourragère du troupeau progresse. « Dès 2010, l’exploitation s’est équipée d’un tracteur plus performant. Nous avons commencé à récupérer quelques terres plus loin, souvent des vignes sans repreneur, pour semer des fourrages et céréales », indique l’éleveur. Sur les conseils d’un technicien de Valsoleil, la famille Souriau s’est aussi lancée depuis une quinzaine d’années dans les méteils avec des mélanges avoine-pois-vesce pour des récoltes en fourrage, ou vesce-avoine autour de la ferme pour du pâturage. Réussir ses fourrages en méteil reste cependant très technique. « Il ne faut pas faucher trop tôt sinon on perd en volume, ni trop tard sinon l’avoine mûrit. La fenêtre est d’une quinzaine de jours sur lesquels, cette année, nous avons essuyé des orages quotidiens. Nous avons tenté de faucher 2 ha mais le méteil est très difficile à sécher. Il faut deux fanages au minimum. En général, nous parvenons à un bon résultat, avec si besoin l’ajout d’un conservateur agréé en bio que nous injectons grâce à un petit jet fixé sous le timon de la presse », explique Hugo Souriau. Mais, cette année, il a fallu se résoudre à ne pas presser les méteils. « Fin mai, en nous inspirant des techniques de l’agriculture de conservation des sols, nous avons semé en direct du sorgho et du trèfle d’Alexandrie dans le méteil fané puis broyé. Les chèvres ont pu pâturer ce mélange depuis la mi-juillet et jusqu’au tarissement mi-août.»
Fourrages : diversifier pour plus d’autonomie
Face au changement climatique, les associés cherchent la meilleure stratégie. « Cette année, nous avions une quarantaine d’hectares en fourrages et pâturage, dont 11 ha en prairies permanentes (naturelles ou plus de six ans), 7,5 ha en luzerne, 2 ha en trèfle et RGI, 12 ha en sainfoin, 4,5 ha en méteil. S’y ajoutaient 9 ha en céréales (dont 5 en orge de printemps, 2,5 en mélanges orge-féverole et avoine-vesce, le reste en avoine et féverole semence). Nous disposons également de 13 ha de landes et parcours », liste l’éleveur. Pour assurer une ressource au troupeau durant l’été, l’EARL des Faviers enchaine plusieurs cultures sur des parcelles situées à proximité de l’exploitation. « De mars à mi-avril par exemple, nous faisons pâturer un hectare de colza semé en fin d’été. Puis, nous refaisons un sorgho que les chèvres pâturent en période estivale. Mes parents ont mis en place ces pratiques il y a plus de vingt ans car nos prairies naturelles, soumises au climat méditerranéen, produisent peu », commente Hugo Souriau. L’exploitation avait atteint l’autonomie alimentaire jusqu’en 2022 où la sécheresse a obligé à acheter plus de la moitié des fourrages et céréales. « Cette année, c’est l’excès de pluie qui nous a pénalisés. Nous avons raté les méteils. Sur la luzerne, nous avons une troisième coupe correcte. En sainfoin, nous avons pu compter sur une première grosse coupe mais de mauvaise qualité. La pluie a aussi pénalisé nos foins de prairie naturelle », annonce l’éleveur. Alors que les associés avaient un peu laissé tomber la luzerne à cause du phytonome (chenille défoliatrice) contre laquelle il est difficile de lutter en bio, ils comptent lui redonner davantage de place et diversifier au maximum leurs productions fourragères.
L'eau, essentielle pour l'autonomie
Hugo et Florent Souriau envisagent aussi de créer un stockage d’eau de 15 à 18 000 m³ pour sécuriser la levée des semis et la production, y compris en fruits, sur la quinzaine d’hectares de terres les plus proches de l’exploitation. « Je pense qu’il faut arrêter de s’éparpiller. C’est bien de récupérer des terres à 30 minutes de tracteur de l’exploitation, mais c’est de la consommation de gasoil, de pneus…, regrette Hugo Souriau. Aujourd’hui nous disposons d’une petite réserve collinaire de 500 m³. Le projet serait de créer un stockage sur les terres les plus hautes de notre exploitation et de le remplir l’hiver depuis la petite réserve grâce à une pompe à panneaux solaires autonome en énergie. Nous pourrions ensuite irriguer par gravité ». Un projet freiné toutefois par son coût. Même si le statut de jeune agriculteur de Florent peut laisser espérer jusqu’à 43 % de subvention, la question de la rentabilité d’un tel investissement demeure.
Et Hugo Souriau de conclure : « Nous parvenons à dégager deux revenus de l’exploitation mais l’équilibre de la trésorerie est précaire. Pourtant, si nous n’allons pas sur ce projet de stockage d’eau, comment assurer l’autonomie de l’exploitation ? Si nous devons acheter des fourrages provenant des plaines irriguées par le Rhône, où sera le lien au terroir ? Ce n’est pas ma vision pour l’AOP. Si les consommateurs veulent du picodon local, ils devront aussi se poser la question de l’impact carbone des fourrages lorsque ceux-ci sont achetés comme en 2022. »
Sophie Sabot

EARL des Faviers
- Deux associés, Hugo et Florent Souriau.
- Deux salariés pour la fromagerie durant la période de lactation. Chacun à mi-temps, ils se partagent la semaine.
- SAU : 70 ha dont 13 de landes et parcours, 40 de SFP, 9 de céréales, 3 d’abricotiers, 1 d’oliviers.
Troupeau désaisonné
« Mes parents cherchaient à faire du volume. Nous cherchons plutôt à améliorer les taux grâce à la sélection génétique. Nous pratiquons 15 à 20 % d’IA », précise Hugo Souriau qui chiffre à 90 000 litres de lait la production annuelle. Le troupeau est désaisonné, avec des mises bas mi-octobre. « Ce mode désaisonné me semble plus adapté dans un contexte de réchauffement climatique. Il colle mieux aux besoins en alimentation. Il nous permet aussi une meilleure valorisation du lait et de diminuer la production à un moment où nous avons besoin de main-d’œuvre pour la récolte de nos trois hectares d’abricotiers », argumente l’éleveur.
Produire ses propres semences
L’EARL des Faviers a investi dans un trieur à grain, subventionné lors de la conversion bio, pour produire en partie ses semences. « Cette année, nous avons moissonné 1,5 ha de méteil et 0,3 ha de féverole, principalement pour la semence. Ce qui nous permettra d’être autonomes pour les futurs semis de méteil et pour les couverts en vergers », indique Hugo Souriau.