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Elevage

Hausse des intrants : échanger collectivement sur les solutions possibles

Un atelier consacré aux solutions face à la hausse des charges agricoles en élevage a été organisé dernièrement par Adice. Pâturage, méteil, réduction du maïs, conduite du troupeau…, autant de pistes mises en œuvre pour Patrice et Thibault Andrieux, éleveurs bovin lait en Isère.

Hausse des intrants : échanger collectivement sur les solutions possibles
Lors de l’atelier, Patrice et Thibault Andrieux ont expliqué le changement progressif opéré sur les surfaces : réduction du maïs ensilage (ou épis) à une dizaine d’hectares au profit des luzernes, remplacement des céréales à paille par des méteils grain (40 % pois vesce et 60 % céréales (triticale, avoine et blé). ©Adice

Patrice Andrieux est éleveur bovin lait associé avec sa femme au sein du Gaec de Grand Rozière situé en zone de coteaux à Ruy-Montceau, à proximité de Bourgoin-Jallieu. Leur fils Thibault est salarié à mi-temps sur la ferme. De taille modeste, l’exploitation compte 2,5 unités de main-d’œuvre (UMO), une cinquantaine de laitières et 80 hectares (ha) de SAU. Les 450 000 litres de lait sont livrés à la laiterie Danone. Le bâtiment et les surfaces ne permettent pas de développer les volumes. Un petit atelier vente directe (lait et œufs) complète l’activité.

Le 31 mars, Patrice, Géraldine et Thibault ont ouvert les portes de leur exploitation lors d’un atelier organisé par Ardèche Drôme Isère Conseil élevage (Adice) afin de partager leur expérience et en débattre avec d’autres éleveurs. Pendant deux heures, il a été question d’autonomie protéique, de conduite de troupeau et d’agronomie. Objectif : moins dépendre des intrants, dont les prix devraient se maintenir à un niveau élevé. Une quinzaine d’éleveurs étaient présents.

Se préparer à faire avec moins

Face à la flambée du prix des matières premières agricoles, les éleveurs gardent le moral. « Il y a deux ou trois ans, avec l’arrivée de Thibault, on a engagé un virage sur l’exploitation. Avec plus de luzerne, méteil et du pâturage, cela nous rend moins dépendant des engrais et achats d’aliments. » Michael Bonnault, administrateur Adice et éleveur à Blandin (38) prévient qu’« il n’y a pas de solutions miracles. Mais ces journées permettent d’échanger sur des bonnes pratiques et d’envisager des modifications de système. Quels que soient les évènements conjoncturels, il faut se préparer à faire avec moins d’engrais, de carburant et de correcteur azoté. »

« L’impact financier sera réel d’ici quelques mois. La hausse des prix en lait et viande ne compensera pas les surcoûts, ajoute Jean-Philippe Goron, responsable technique à Adice. Le Gaec de Grand Rozière axe sa stratégie sur le renforcement de l’efficacité alimentaire par, d’une part le pilotage quotidien du troupeau et de la pâture, d’autre part la réduction des intrants en modifiant le système fourrager. »

Pâturer davantage en maintenant une forte productivité animale

Au vu des contraintes bâtiment-surface, les éleveurs visent une précocité de vêlage des génisses (26 mois). C’est autant de génisses en moins à nourrir ou pailler. Idem pour les laitières avec un objectif à plus de 9 000 litres produits et livrés par vache avec une bonne qualité du lait.

Si Patrice a toujours fait pâturer ses vaches, aujourd’hui c’est un vrai plaisir et une réelle efficacité. Sans augmenter la surface, les éleveurs ont fait le pari (gagnant) d’améliorer le rendement et la qualité de l’herbe pâturée. En 2020, ils créent 27 parcs d’environ 3 500 à 4 500 m² en aménageant de bons chemins d’accès et, pour chaque parc, un abreuvoir accessible. Des arbres ont été plantés pour faire de l’ombre l’été. Objectif : des passages rapides, 1 parc = 1 jour. Les vaches reviennent tous les mois sur les paddocks. « Elles ont de l’herbe nouvelle tous les jours, la production de lait ne baisse pas, au contraire, aujourd’hui elles sont à plus de 31 litres, constatent les éleveurs. Les chemins nous permettent de ramener rapidement les vaches à la traite. Cette année elles sont sorties début février. Elles finissent le second tour de pâture. Dès le coup de froid passé, elles pâturent nuit et jour. On complémente à l’auge (base maïs ensilage ou épis) et les meilleures vaches ont une VL (aliment complémentaire - ndlr). On réduit les quantités de paille et fumier, de fourrages récoltés et d’aliments distribués. Difficile de chiffrer les économies mais elles sont certaines. » 

Thibault a été le grand artisan du changement. Les aides financières mobilisées (intercommunalité Capi et Danone « Les 2 pieds sur terre ») ont permis de faire de vrais aménagements. « On a passé du temps à terrasser les chemins, planter les piquets et les arbres, clôturer. Seul, cela aurait été impossible ».

Davantage de méteil et de luzerne dans la ration

Lors de l’atelier, Patrice et Thibault ont expliqué le changement progressif opéré sur les surfaces : réduction du maïs ensilage (ou épis) à une dizaine d’hectares au profit des luzernes, remplacement des céréales à paille par des méteils grain (40 % pois vesce et 60 % céréales (triticale, avoine et blé). Les meilleures terres sont réservées à une rotation maïs/méteil grain. Les dérobés RGI avant maïs ont été remplacés par des méteils précoces ensilés. « Les RGI en dérobé étaient difficiles à labourer au printemps et sont gourmands en azote. On a arrêté, expliquent les éleveurs. On réduit les engrais et les consommations de carburant avec au final des fourrages plus riches en MAT. Seul bémol, les semences de méteil coûtent cher. A terme, il faudrait pouvoir produire sa propre semence ou l’échanger avec d’autres agriculteurs. » La luzerne est enrubannée et avec les méteils ensilés précocement, elle vient compléter la ration d’hiver et réduire les achats de correcteur azoté. A volume de lait équivalent, le troupeau consommait 50 tonnes de correcteur azoté en 2019 contre 35 t en 2021, soit moins de 40 g de MAT par litre.

Achat d’engrais minéral, uniquement pour le maïs

Sur les prairies et luzerne, les éleveurs apportent un fumier composté. « Cela suffit », constatent-ils. Sur le méteil, aucun traitement phytosanitaire, ni engrais minéral ne sont apportés. « Les apports en fumier dans la rotation sont suffisants, indiquent les éleveurs. Cette année on a seulement acheté 4 tonnes d’engrais (27 % azote) pour les maïs. Les parcelles craignent le sec. Comme on est toujours un peu court en fourrage, on préfère assurer avec 100 unités d’azote minéral sur les maïs. »

Une cohérence globale et un engagement

La démarche entreprise est audacieuse mais réfléchie, estime Adice. Outre son impact positif sur la réduction des charges, elle permet de maintenir une forte productivité sans accroître la charge de travail au quotidien. Elle démontre aussi que l’on peut associer environnement et économie. Située à proximité d’une grande ville, d’un étang fréquenté par les promeneurs et d’une zone de captage d’eau, le Gaec de Grand Rozière a su trouver sa cohérence. Le panneau affiché à l’entrée de la laiterie « ferme laitière bas carbone » en est l’illustration.

Jean-Philippe Goron, Adice