Pastoralisme
Chiens de protection : une charge mentale trop lourde pour les éleveurs

Face à la présence de loups installés en meutes sur plusieurs territoires de la Drôme, les éleveurs doivent multiplier le nombre de chiens de protection sur leurs exploitations. Ce qui n’est pas sans provoquer de vives tensions avec le voisinage. Exemple à Gigors-et-Lozeron.

Chiens de protection : une charge mentale trop lourde pour les éleveurs
Les chiens de protection sont de plus en plus nombreux partout en Drôme. « Ils font un super boulot », reconnaît Sébastien Bos. Mais il déplore que les éleveurs n’aient pas d’autre choix face à la prédation.

Au pied du plateau du Savel, entre les vallées de la Sye et de la Gervanne, le loup est désormais bien implanté. Sur la carte publiée par l’office français de la biodiversité (OFB) en novembre 2020, ce territoire baptisé « la Raye » est identifié comme « zone de présence permanente meute », tout comme le territoire voisin « Vercors Ouest ». Pour défendre leurs troupeaux, les éleveurs n’ont plus le choix : ils doivent avoir recours aux chiens de protection, en nombre suffisant pour faire face à une meute de loups. Mais dans les villages de la vallée, la présence de ces chiens déclenche des tensions avec les autres habitants. Elisabeth Moreau et Sébastien Bos, à Gigors-et-Lozeron, sont à la tête d’un troupeau de 1 400 brebis, qu’ils gèrent en six lots et travaillent avec huit chiens de protection, bientôt dix. Au quotidien, ils sont confrontés à des réactions de plus en plus hostiles de la population.

« On nous envoie la SPA »

« Il y a un peu plus de deux ans, une de mes chiennes a pincé une promeneuse, je l’ai très mal vécu. Sans compter que cet épisode a déclenché une psychose dans la vallée », confie Elisabeth Moreau. L’éleveuse a depuis été agressée verbalement à plusieurs reprises. A ses côtés, Adrien Vigne, jeune éleveur installé en 2018 avec 250 brebis et des vaches allaitantes, confirme que la situation devient intenable. « J’ai huit chiens de protection. Je suis obligé de me protéger au maximum car l’été mon troupeau est le seul du secteur à ne pas partir en estive, je concentre donc tous les risques d’attaque par le loup », explique-t-il. Régulièrement, il est la cible d’insultes. « On nous reproche que les chiens aboient la nuit, qu’ils sont méchants, qu’ils sont maigres, que nous les maltraitons, que nous les perdons... », énumère le jeune éleveur. « Nous avons même vu débarquer la SPA1 qui cherchait une ferme de Gigors-et-Lozeron où les chiens seraient maltraités, racontent les éleveurs. Nous avons fait avec eux le tour des troupeaux de la commune et aucun chien maltraité n’a bien sûr était trouvé.»

A Gigors-et-Lozeron, Elisabeth Moreau doit compter sur ses Cão de Gado Transmontano (photo) et ses bergers d’Anatolie pour protéger son troupeau de la meute de loups installée sur le territoire de la Raye.

Depuis sept ans qu’elle a recours aux chiens de protection, Elisabeth Moreau s’est beaucoup investie pour que la cohabitation avec les autres usagers se passe pour le mieux. Elle a notamment participé à des actions avec le parc naturel régional du Vercors : réunions de médiation, formation des accompagnateurs de montagne, expérimentation menée par une éthologue de l’association VIE2 … Sans oublier, en 2020, une visite technique avec Vincent Ducomet [éleveur ovin et comportementaliste canin, NDLR], recommandée par la direction départementale des territoires (DDT) suite à l’épisode avec la promeneuse.

« Moins de problèmes en estive »

Empêcher les chiens de sortir des parcs lorsqu’ils sont avec les troupeaux dans la vallée durant l’hiver, tout en espérant qu’ils assureront leur mission de protection devient un vrai casse-tête pour les éleveurs. « En estive, nous avons finalement moins de problèmes, les chiens sont dans leurs conditions de travail naturelles. Ici, on attend d’eux qu’ils restent entre quatre filets mais les chiens de protection ne fonctionnent pas comme ça. Quelle que soit la race, il y a des chiens qui seront plutôt internes au troupeau et d’autres externes », commente l’éleveuse. Elle va tout de même tenter d’éduquer ses chiens avec des colliers à impulsion électrique pour éviter qu’ils ne sautent les parcs. « Mais je redoute que ce soit contre-productif et qu’il faille revenir en arrière », souligne-t-elle. Avec d’autres éleveurs de la commune, elle entame également un travail avec des éducateurs canins d’un centre cynophile de la région. Objectif : amener leurs chiens de protection à différencier la présence d’un chien de promeneur d’une menace de prédation. Une dépense de 25 euros par heure d’éducation que les éleveurs devront supporter en plus des nombreuses contraintes qu’ils subissent déjà.

« On délaisse notre métier d’éleveur ovin pour gérer des chiens, déplore Sébastien Bos. Entre les réunions de médiation, les visites chez le vétérinaire, la gestion des parcs non plus en fonction des brebis mais des chiens... ça devient un boulot à plein temps sur nos exploitations. » Un collègue, qui préfère garder l’anonymat, confirme : « Les chiens, c’est tout ça et c’est aussi des tensions grandissantes au sein même de nos foyers. Pourtant aujourd’hui on ne nous propose aucune autre solution que de développer des meutes de chiens pour faire face à des meutes de loup. »

« Des panneaux que plus personne ne lit »

Tous attendent que les pouvoirs publics prennent conscience de la charge mentale qui incombe aux éleveurs. « Les conséquences de la présence du loup aujourd’hui ne se résument plus aux attaques que nos troupeaux peuvent subir. Tout le monde est dépassé, les difficultés vont crescendo, notamment parce que la population ne se rend pas compte du nombre de loups aujourd’hui présents sur le territoire », analyse un éleveur qui souhaite une meilleure information de la population sur ce sujet. « Les gens doivent assimiler que, s’il y a des loups, il y a des chiens de protection autour des troupeaux. Il faut vraiment éduquer le public au delà des simples panneaux que plus personne ne lit », insistent Sébastien Bos, Elisabeth Moreau et Adrien Vigne. Ils regrettent aussi qu’on ne parle des chiens de protection que lorsqu’un problème survient. « Nos chiens ont mauvaise presse, alors que ce sont des chiens extraordinaires qui font un super boulot », commente Sébastien Bos. Pédagogie et communication semblent désormais incontournables, à la fois en direction des élus locaux et du grand public.

Sophie Sabot

1 SPA : société protectrice des animaux.

2 Association de vulgarisation et d’initiative en éthologie (VIE).

Alain Baudouin, président de l’association des éleveurs et bergers du Vercors : « Redéfinir les responsabilités »

Alain Baudouin, président de l’association des éleveurs et bergers du Vercors : « Redéfinir les responsabilités »

Eleveur à Combovin, Alain Baudouin se bat depuis de nombreuses années pour que l’Etat prenne sa part de responsabilité dans la présence des chiens de protection sur le territoire. « Les éleveurs ne peuvent pas être les seuls responsables au civil et au pénal des conséquences de la présence de ces chiens qui sont subventionnés par l’Etat », martèle le président de l’association des éleveurs et bergers du Vercors. 

D’autant que cette responsabilité repose sur des bases législatives difficiles à appréhender pour le grand public. Le chien de protection n’est pas considéré par le code rural comme un animal divaguant (art. L.211-23). Ainsi, l’animal peut très bien, lorsqu’il exerce son rôle de protection contre les prédateurs, ne plus être sous la surveillance effective de son maître et se trouver hors de portée de rappel par celui-ci. Et c’est là que le bât blesse une nouvelle fois selon Alain Baudouin. « Lorsqu’un incident survient, l’éleveur se retrouve comme un criminel au commissariat uniquement sur les dires du plaignant car la plupart du temps nous ne sommes pas sur place au moment de sa rencontre avec le chien », déplore-t-il. C’est donc, selon lui, une pression permanente qui s’exerce sur les éleveurs, contraints d’avoir recours à toujours plus de chiens pour protéger leurs troupeaux, tout en étant responsables de la sécurité des autres usagers des espaces dédiés au pastoralisme.

S.Sabot

Protection des troupeaux : mieux informer les maires

La présence de chiens de protection sur leur commune place les maires face à des difficultés nouvelles à gérer entre administrés. Le 31 mars, à Suze, s’est déroulée une réunion en présence de la sous-préfète de Die, d’élus locaux et de quatre éleveurs, dont le président de la fédération départementale ovine et celui de l’association des éleveurs et bergers du Vercors. L’objet était de « trouver des solutions à un cas individuel », précise la préfecture de la Drôme, qui n’a pas souhaité s’exprimer davantage sur cette réunion. Selon nos sources, il s’agit d’une agression physique subie par un éleveur dont le chien de protection a ensuite pincé l’agresseur.

Pour prévenir les situations conflictuelles, le préfet de la Drôme a adressé le 15 janvier dernier un courrier à l'ensemble des maires du département. Il rappelle aux élus que « le dispositif de protection des troupeaux contre la prédation est une action prioritaire du plan national loup. Ce dispositif vise d’une part à assurer le maintien de l’activité pastorale malgré la contrainte croissante de la prédation, et d’autre part à accompagner les éleveurs dans l’évolution de leur système d’élevage en limitant les surcoûts liés à la protection des troupeaux. » Le préfet souligne que des aides à l’acquisition et à l’entretien des chiens de protection sont accessibles à tous les éleveurs ovins ou caprins détenant au moins 25 animaux reproducteurs sur l’ensemble des communes de la Drôme. Il attire aussi l’attention des maires sur les conflits qui peuvent naître avec les autres usagers de l’espace public du fait de la présence de plus en plus nombreuses de ces chiens. « Afin de limiter ces différends, il me paraît essentiel de mettre en place une communication adéquate sur la présence de ces chiens, leur spécificité et les comportements à adopter en cas de rencontre avec eux », écrit le préfet, avant de préciser la liste des différents supports de communication existant, dont le « guide général sur les chiens de protection à l’usage des maires » et le « kit de communication auprès des élus ». Documents à consulter ici.