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Droit rural

L’intervention du nu propriétaire à la conclusion d’un bail rural

En cas de démembrement de propriété, c’est-à-dire en présence d’un usufruitier et d’un nu-propriétaire, c’est uniquement l’usufruitier qui a la qualité de bailleur.

L’intervention du nu propriétaire à la conclusion d’un bail rural
©AdobeStock

Question : mes parents m’ont fait une donation de la nue-propriété d’un ensemble de terres. Ces terres sont depuis longtemps travaillées par un agriculteur de la commune. Or, le bail s’est renouvelé cette année et personne ne m’a demandé mon avis. Est-ce normal que mes parents continuent à gérer les terres comme si elles leur appartiendraient ?

Réponse : dans les situations comme la vôtre, le fermier n’est souvent pas informé de l’existence d’un nu-propriétaire. En effet, les donateurs qui gardent l’usufruit continuent souvent à gérer le bien comme avant. Ceci n’est pas sans poser problème pour le fermier.

D’un point de vue purement juridique, en cas de démembrement de propriété, c’est-à-dire en présence d’un usufruitier et d’un nu-propriétaire, c’est uniquement l’usufruitier qui a la qualité de bailleur. Or le code civil prévoit que l’usufruitier doit obtenir le concours du nu-propriétaire pour donner à bail notamment un fonds rural. L’intervention du nu-propriétaire, c’est-à-dire sa signature du bail, ne lui donne pas la qualité de co-bailleur. Seul l’usufruitier a la qualité de bailleur et est ainsi engagé avec le fermier.

Si le nu-propriétaire refuse sa participation à l’acte, l’usufruitier ne peut pas passer seul un tel acte, il lui faut à ce moment une autorisation de justice. Les juges du fond analysent généralement les intérêts de chacun et tranchent le litige entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au cas par cas en recherchant un équilibre. À ce sujet, les juges ont un pouvoir souverain d’appréciation.

Si l’usufruitier a agi seul, le nu-propriétaire pourra demander la nullité du bail au tribunal paritaire des baux ruraux. Toutefois, l’article 595, alinéa 4, du code civil qui exige la participation du nu-propriétaire, n’est pas applicable aux baux en cours à la date du 1er février 1966, ni à leurs renouvellements successifs. Le bail à ferme consenti par l’usufruitier avant cette date, pour une durée de neuf ans, est donc opposable au propriétaire après extinction de l’usufruit, dans les mêmes conditions que si le preneur tenait de lui son droit.

Dans votre cas, le bail a été consenti par le propriétaire avant le démembrement et il est donc tout à fait valable. La loi ne fait aucune distinction entre la conclusion du bail initial et le renouvellement de celui-ci. Ainsi, lors du renouvellement du bail conclu par vos parents, il faudrait théoriquement votre accord en tant que nu-propriétaire. Toutefois, il n’est pas certain quelle position adopterait un tribunal dans cette situation. En effet, le renouvellement du bail rural est un droit du preneur et la jurisprudence qui a surtout été établie pour des baux commerciaux n’est pas forcément adaptable aux baux ruraux. Une action en nullité engagée par le nu-propriétaire suite au renouvellement n’est ainsi pas certaine d’aboutir. 

Si le concours du nu-propriétaire est nécessaire pour la conclusion du bail, certains actes peuvent être accomplis sans le concours du nu-propriétaire. Il s’agit essentiellement des actes où la loi fait référence au bailleur, qui est, rappelons-le, l’usufruitier.
Ainsi, l’usufruitier délivre valablement congé sans le concours du nu-propriétaire. En cas de reprise au bénéfice d’un descendant de l’usufruitier, la règle est la même : l’intervention du nu-propriétaire n’est pas exigée. Si un congé est délivré conjointement par l’usufruitier et le ou les nus-propriétaires, l’intervention de ces derniers est juridiquement sans portée. En effet, l’usufruitier a le pouvoir d’agir seul en résiliation. Le nu-propriétaire n’étant pas bailleur, il n’a pas qualité pour demander la résiliation du bail, quelle que soit la cause invoquée.
L’usufruitier peut aussi autoriser seul la cession du bail à un descendant du preneur ou autoriser des travaux d’amélioration que souhaite entreprendre le preneur. Ceci est tout à fait logique dans la mesure où l’indemnité au preneur sortant est à la charge de l’usufruitier.

Comme vous pouvez le constater, l’usufruitier peut agir seul dans quasiment toutes les situations du bail rural à part lors de la conclusion de celui-ci. Or cela n’est pas sans problème notamment pour les baux verbaux. L’usufruitier a ainsi le devoir d’informer le preneur de la situation juridique de la propriété donnée à bail et le nu-propriétaire de son projet de location afin que tout litige ultérieur soit évité.   

Le service juridique rural de la FDSEA 26, Nathalie Kotomski