« Arrêter la surchauffe normative »
Lors de son dernier conseil départemental, le 23 novembre à Chabrillan, la FDSEA de la Drôme a convié Yannick Fialip, agriculteur en Haute-Loire et président de la commission économie de la FNSEA.

Pouvez-vous vous présenter ?
Yannick Fialip : « Je suis agriculteur en Haute-Loire où j'élève avec mon épouse 70 vaches laitières, 300 brebis viande, sur 130 ha en zone de montagne. Je suis président de la commission économie de la FNSEA et président de la chambre d'agriculture de Haute-Loire. La place de l'agriculture dans l'économie française est un sujet qui me tient à cœur. Ce que l'on constate, c'est que la France, grand pays producteur agricole, commence à être un peu fragile. Les volumes baissent dans beaucoup de productions, pour différentes raisons. »
Lesquelles ?
Y. F. : « Des raisons de compétitivité, des raisons liées au climat, à l'emploi et aux normes car on a une administration française très inventive, qui freine l'esprit d'initiative des producteurs. Sur le climat, on va voir comment s'adapter en matière d'irrigation, d'assolement, de rotation, mais aussi pour certains la plantation de haies, des variétés plus résistantes… Techniquement, on a des solutions même si on ne résoudra pas tout.
Sur la compétitivité, on est mis en compétition avec des filières d'importation qui ne respectent pas les mêmes normes que nous, ce qui pose des difficultés. Au plan mondial, plus de 1 000 molécules phytosanitaires sont autorisées, en Europe c'est à peine 750 et en France seulement 350 !
Par ailleurs, l'emploi - chefs d'exploitation et salariés - sera demain un frein à la production agricole. Depuis une dizaine d'années, beaucoup d'emplois agricoles sont pourvus par des personnes d'origine étrangère. Nous devons rendre nos métiers plus attractifs en valorisant mieux nos savoir-faire avec de l'emploi qui soit davantage français.
Enfin, l'ADN du métier d'agriculteur, c'est d'entreprendre, de prendre des initiatives… Or souvent, beaucoup d'agriculteurs nous disent : “Le matin quand je me lève, je regarde ce que j'ai le droit de faire”. Nous demandons à l’administration de desserrer l'étau pour arrêter la surchauffe normative qui pèse sur le moral des exploitants, qui pèse sur notre compétitivité et entrave l'installation de jeunes. »
C'était le mot d'ordre de la mobilisation FDSEA-JA du 21 novembre dernier. Pensez-vous que cette mobilisation peut faire bouger les choses ?
Y. F. : « On sait que l'investissement en agriculture est nécessaire pour faire prospérer son exploitation. Ce sont souvent des capitaux très lourds avec des retours sur investissements très minoritaires et qui demandent du temps. Il faut donner aux jeunes la capacité de se projeter à vingt ou trente ans en leur disant que leur métier a du sens et sera nécessaire à la population. Or aujourd'hui, on a un gouvernement qui vient nous voir au printemps pour nous dire qu'il faut produire plus parce qu'il y a des pénuries, des prix qui flambent… et à l'automne le même gouvernement nous dit que l'on va faire 5 % de jachère ! Il n'y a pas de logique. Idem sur le glyphosate où la France veut faire différemment de la position européenne. Ça donne l'impression que l'on marche sur la tête. Est-ce qu'aujourd'hui c'est le politique qui dirige ou bien c'est l'administration qui a pris le pas sur les décideurs ? Parfois, un chef de service a plus de poids qu'un préfet ou un député ! »
Ce que vous demandez, c'est de la visibilité ?
Y. F. : « Si le cap est de ne plus nourrir la population, il faut qu'on nous le dise. La souveraineté alimentaire de la France s'est affaiblie. Aujourd'hui, un agneau sur deux consommés en France est importé, un poulet sur trois, un fruit et légume sur deux. En viande bovine, on commence à être importateur net. Et sur la vache laitière où nous étions un grand pays producteur, la production baisse. Tout cela nous interroge sur la capacité de la France à se nourrir. »
La semaine dernière, l'accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande a été approuvé. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Y. F. : « On continue dans cette logique qui consiste à faire de l'agriculture une monnaie d'échange contre la vente d'autres biens ou technologies. On a ouvert un nouveau contingent de viande ovine de 20 000 tonnes alors que les précédents n'étaient pas remplis. Pourquoi alors offrir de nouveaux volumes ? Ce qui nous gêne le plus, ce sont les quelques agneaux qui vont arriver de Nouvelle-Zélande et tirer le marché vers le bas avec de la viande proposée à bas prix en tête de gondole des supermarchés. Les deux dernières crises que nous avons vécues - Covid et guerre en Ukraine – montrent, d'une part que les échanges mondiaux ne peuvent pas être une solution sur du long terme, d'autre part que lorsqu'on commerce avec des pays peu stables, on est vite en difficulté. »
Aux dires des agriculteurs, beaucoup de choses ne tournent pas rond. La FNSEA a-t-elle encore le pouvoir de faire changer les choses ?
Y. F. : « Les agriculteurs ont le sentiment que l'on ne fait pas assez, que ça ne va pas assez vite. Cependant, on imprime un certain nombre de messages. En 2015, on voulait davantage de prix et on demandait à le construire en marche avant. Cela a aboutit aux lois Égalim 1 et 2. Ensuite, on a dit “n'importons pas l'agriculture que nous ne voulons pas” et aujourd'hui nous mettons l'accent sur la souveraineté alimentaire. Il me semble que la population commence à prendre conscience de l'intérêt à avoir une capacité de production alimentaire française. Nous disons aux consommateurs : “Si vous voulez faire un vrai geste pour la planète, mangez de la production française car l'agriculture française est la plus vertueuse du monde”. »
Propos recueillis par Christophe Ledoux
Le conseil départemental de la FDSEA de la Drôme s'est réuni à Chabrillan le 23 novembre. Les administrateurs et responsables locaux de la structure syndicale ont notamment débattu de l'actualité et consacré l'après-midi à l'économie. Jean-Pierre Royannez, président de la commission économique de la FDSEA, a présenté les chiffres du dernier recensement agricole et lancé le débat sur les nouveaux enjeux agricoles. ©CL-AD26