Céréales : bien gérer le premier apport d’azote
Les semis de céréales ont été réalisés en bonnes conditions mais l’hiver, une fois n’est pas coutume, a été frais. Les plantes sont actuellement peu développées et les parcelles les plus en avance sont en plein tallage. Pas de panique, ce n’est pas préjudiciable. Elles vont globalement rester au repos dans l’attente de températures plus clémentes.

Il ne faut pas se précipiter pour les premiers apports minéraux. Un surplus de fourniture minérale par un apport d’engrais dès le début février favoriserait la mise en place de talles secondaires, non productives. Comme tous les ans, et encore plus cette année compte tenu du prix de l’azote, ce serait contreproductif. Ces excès de croissance auraient pour conséquences :
• de réduire fortement l’efficience des engrais apportés au tallage en favorisant l’absorption d’azote par des organes non productifs (talles secondaires ou tertiaires),
• de faire grimper très fortement les risques de verse en augmentant inutilement le nombre de tiges et en favorisant l’allongement des entre-nœuds,
• de favoriser les maladies aussi bien foliaires (rouilles, oïdium) que du pied (piétin échaudage, piétin verse),
• de sensibiliser les cultures aux accidents climatiques : sécheresse en augmentant la consommation en eau de la culture, ou froid (comme en 2012).
Nous ne connaissons pas aujourd’hui la météo de la fin de l’hiver. Un épisode de gel marqué est tout à fait envisageable. Des doses trop importantes d’azote pourraient favoriser une reprise précoce et amplifier la sensibilité au gel sur la fin février-début mars. La part d’azote apportée au tallage est celle qui contribuera le moins à la teneur en protéines finale. À dose équivalente, mieux vaut garder de quoi renforcer les apports suivants, en particulier l’apport de fin montaison.
À l’inverse, une carence azotée survenant durant la fin du tallage sur des cultures très développées (3-4 tiges bien développées/plante) aura pour effet de ralentir l’émission de talles secondaires et tertiaires et, si elle se prolonge, de provoquer la disparition des talles les plus faibles. Les talles bien développées ne seront éliminées que si la carence est très sévère et se prolonge. On aura donc le temps de réagir avant une telle situation. Compte tenu de ces éléments, un jaunissement dû à un défaut d’alimentation azotée survenant sur des parcelles bien développées n’entraînera aucune conséquence sur le rendement.
Le contexte de l’année
Le niveau du reliquat azoté en sortie d’hiver dépend de différents paramètres : du type de sol, plus ou moins filtrant, du reliquat post-récolte du précédent, de la minéralisation et de la pluviométrie hivernale. Selon la directive nitrate régionale en vigueur, pour l’analyse des reliquats, les sols sont classifiés selon leur capacité à retenir l’eau : sols peu filtrants ou sols filtrants (tableau 1). Il en est de même pour les types de précédents que l’on peut regrouper selon trois catégories (pauvres, moyens ou riches) selon leurs reliquats azotés post-récolte (tableau 2). L’analyse des reliquats réalisés sur les sites d’expérimentation d’Arvalis-institut du végétal et sur la station expérimentale ST EX Innov à Pusignan (Rhône) montre que, malgré l’hiver pluvieux, les reliquats sortie hiver sont globalement dans la tendance pluriannuelle. Toutefois, certaines parcelles présentent des niveaux plus élevés que la normale. Pour celles-ci, il sera intéressant de réduire voire de décaler le premier apport. Il n’est pas encore trop tard pour réaliser un reliquat. Il vous donnera la meilleure information sur la situation de vos parcelles.
Quel apport réaliser ?
En cas de reliquat sortie hiver élevé, supérieur à 60 unités d’azote (uN), le décalage d’un apport de 40 uN/ha maximum peut être réalisé sans risque jusqu’à une dizaine de jours avant le stade épi 1 cm. Les situations concernées sont les suivantes : précédent riche en azote ou fertilisation importante du précédent, apport de matière organique, sols profonds à bonne minéralisation, date de semis précoce avec très bon tallage. Avec des reliquats inférieurs à 60 uN/ha (sols très superficiels, précédents peu riches en azote, semis tardifs), un apport peut se justifier mais devra être limité à 40 uN/ha. Il sera largement suffisant. Ce type de situation peut être détecté par un jaunissement des vieilles feuilles, jaunissement à ne pas confondre avec d’autres causes : virus, tassement ou maladie (oïdium, piétin échaudage…). La forme de l’engrais (ammonitrate, urée, solution) n’entraîne pas de retard dans la valorisation de l’engrais et ne nécessite pas d’anticipation de la date d’apport. En cas de disponibilité limitée en engrais, il faut privilégier les apports autour du stade épi 1 cm. Attention de ne pas confondre redressement et épi 1 cm. Le fort développement des cultures provoque un redressement des tiges qui vont « chercher la lumière ». Elles resteront longtemps à ce stade avant que l’épi ne se différencie. Seule l’observation attentive des tiges en les coupant permet d’être certain du stade.
Thibaut Ray, Arvalis - Institut du végétal