La Drôme en proie à la consommation masquée du foncier agricole
Lors de l’événement Terre de rencontres, organisé vendredi 4 avril, à Étoile-sur-Rhône, la Safer Auvergne-Rhône-Alpes a axé son intervention sur la consommation masquée du foncier agricole et l’installation des jeunes agriculteurs.
La Safer Auvergne-Rhône-Alpes a fait salle comble lors de son événement « terre de rencontres », vendredi 4 avril à Étoile-sur-Rhône. Une rencontre entre professionnels du monde agricole qui intervenait deux ans après celle intitulée « la terre dans tous ses états » et qui avait pour objectif d’échanger sur la consommation du foncier agricole. « Nous ne souhaitons pas tomber dans une réunion descendante mais au contraire nous voulons de l’interaction », a prévenu Gilles Flandin, président de la Safer Aura et secrétaire général de la fédération nationale. Pour rappel, dans le cadre de son programme pluriannuel d'activité 2022-2028, la Safer agit sur trois axes : la préservation des ressources, les enjeux économiques, et la médiation des usages.
Le fléau de la consommation masquée
La Safer a tenu à rappeler que la régulation ne représente qu’une partie minoritaire de l’activité de la structure. Entre 2021 et 2023, la région a perdu 305 hectares de surfaces agricoles par an, dont une grande partie au profit des surfaces urbanisées. Le marché foncier rural drômois se retrouve confronté à des acquéreurs résidentiels qui détiennent 71 % de la valeur du marché. En 2023, les agriculteurs drômois ne représentent que 31 % des ventes, détiennent 53 % des surfaces, mais n’ont la main que sur 17 % de la valeur du marché. Les surfaces libres comprenant du bâti sont vendues à près de 80 % à des non-agriculteurs. La Safer reste engagée à « agir pour assurer la transparence et la régulation du marché foncier. Nous agissons sur un nombre important de préemption au prix ou en révision de prix », a rapporté Marc Fauriel, président du comité technique départemental et vice-président de la Safer Aura.
Le maître-mot pour la Safer comme pour la chambre d’agriculture de la Drôme et leurs partenaires : anticiper les cessions. ©SaferAura
« La consommation masquée est un fléau dans notre département. Elle est peu connue, peu visible mais aussi ravageuse que l’artificialisation », a déclaré Franck Soulignac, vice-président du conseil départemental. « La consommation masquée, c’est un phénomène plus insidieux de la disparition de l’espace agricole. La Drôme et la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur sont précurseurs sur ces sujets », a avancé Nicolas Agresti, directeur du service étude, veille et prospective à la FN-Safer. Il prend l’exemple d’un terrain racheté pour du loisir. « Visuellement, physiquement, la terre reste agricole, mais économiquement, non. Ce type de consommation s’insère dans le temps et l’artificialisation n’est pas détectable ». Un phénomène théorisé appelé « peau de léopard », pour parler de l’étalement résidentiel. Selon les intervenants, le statut de fermage protège de ce type de consommation du foncier. La Safer peut aussi sécuriser le foncier sur 15 ans avec un cahier des charges. Dans la région, entre 2021 et 2023, l’intervention de la structure a permis de conserver 326 hectares de foncier agricole visés par de la consommation masquée.
Des freins à l’installation
Les législateurs ont mis la main sur cette consommation masquée. Bernard Buis, sénateur drômois, a détaillé aux participants les axes de la proposition de loi visant à "lutter contre la disparition des terres agricoles" adoptée le 11 mars à l’assemblée. Elle pourrait permettre de demander la séparation des biens (bâti, terrains agricoles…) pour permettre à la Safer de préempter. « Ce n’est pas du développement, c’est un désastre. La différence entre cette consommation masquée et l’artificialisation, c’est que dans le second cas, c’est perdu et bétonné… », estime un élu drômois. « La maîtrise du foncier est un élément important pour permettre aux agriculteurs d’accéder à un habitat », a renchérit Marc Fauriel. « Construire une maison près de l’exploitation, c’est un souhait des agriculteurs. C’est un sujet fondamental pour les jeunes et l’installation. Mais ça pose aussi question pour les retraités qui vivent sur leur ferme. Il faut trouver de solutions satisfaisantes autant pour les jeunes que pour les retraités », a avancé Gilles Flandin. De quoi faire réagir Jordan Magnet, jeune agriculteur drômois, présent dans la salle. « Les fermes se vendent très cher et elles sortent du domaine agricole. Nous avons un gros problème de logement dans le milieu. On se retrouve avec des personnes qui font grimper les prix et les agriculteurs ne peuvent pas suivre. Les gens viennent vivre au milieu des terres et l’agriculteur doit aller vivre en ville. Si nous arrivons à faire sortir les terres du domaine agricole, pourquoi ne parvient-on pas à les récupérer et que le bâti agricole soit bloqué tout comme le sont les terres ? ».
« Un bien qui a perdu l’usage depuis cinq ans n’est plus préempté par la Safer », lui a répondu Marc Fauriel. Un axe bien identifié par les législateurs qui pourraient proposer d’allonger cette durée à 15 ans ou 20 ans. « La Safer permet de maîtriser les prix agricoles. La profession demande souvent des révisions de prix. C’est important de rappeler que la majorité des actions se déroule à l’amiable et qu’il n’y a que 1 % de préemption de la Safer. Les installations sont une priorité pour la chambre d’agriculture. Sur le schéma directeur régional des structures agricoles, nous devons aller plus loin ensemble. Parfois, nous écartons certains dossiers pour mieux les servir par la suite », expose Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme.
La Safer souhaite faciliter l’installation
Avec 5 252 exploitations, l’agriculture drômoise se place comme une force économique centrale en Auvergne-Rhône-Alpes. Toutefois, 52 % des agriculteurs sont âgés de plus de 55 ans. Le maître-mot pour la Safer comme pour la chambre d’agriculture de la Drôme et leurs partenaires : anticiper les cessions. « Les jeunes ont besoin de la Safer pour leur exploitation et pour défendre les projets sur les communes. Moi, je me suis associé avec mon père sur quatre ans et je suis passé par l’acquisition foncière. Nous nous sommes diversifiés, nous avons besoin de faire des rotations, nous avons besoin de ça pour tenir. Les jeunes ont besoin de vous car les agriculteurs produisent, ce n’est pas notre métier de gérer du foncier », a témoigné Benjamin Aubert, jeune agriculteur présent lors des échanges.
Aller vers
En 2024, la Safer a mené une expérimentation dans l’Allier et la Drôme avec le groupe de presse agricole Réussir pour démarcher les cédants potentiels, des agriculteurs de plus de 58 ans. 40 % des interrogés ont reconnu ne pas encore avoir réalisé de démarche pour céder leur ferme. Sur 1 000 appelés, 20 personnes ont accepté d’être rappelées pour obtenir des conseils. Des rencontres ont aussi été organisées en 2024, notamment à Hauterives. Un poste de conseiller en propriétés rurales a été créé pour épauler les agriculteurs.
Aides financières
Attendu depuis sept ans, le fond Élan s’est concrétisé en mars 2025. De par l’engagement financier de partenaires institutionnels*, une enveloppe de 38 millions d’euros devrait bénéficier aux installations agricoles d’ici l’été à l’automne 2025. Par région, maximum 30 % du montant de l’enveloppe peut être investi. Cette aide s’adresse à 80 % pour des projets d’installation (dont 50 % hors-cadre familial) et 20 % de maintien de viabilité des exploitations. Les biens seront portés pour une durée maximale de 30 ans et pourront être rachetés dès la dixième année.
Autre avantage pour l’installation, l’Aide en faveur des jeunes installés par la Safer (Ajis) qui couvre de 30 à 60 % des frais notariés. Dans la Drôme, en 2024, onze jeunes agriculteurs en ont bénéficié pour un montant total de 15 000 €. D’ailleurs, vendredi 4 avril, trois d’entre eux sont venus témoigner de leur parcours d’installation.
* Crédit agricole, Crédit Mutuel, fonds d’entrepreneurs et Banque des territoires et le groupe Safer.