Les limites de pouvoir de l’usufruitier

Question : Ma sœur et moi avons hérité de la ferme et des terres de mon père. Il s'agit de biens propres puisqu'il les avait achetés avant le mariage avec notre mère. Suite au décès de notre père, notre mère est devenue usufruitière de la totalité des biens de notre père. Comme on est en très mauvais termes avec elle, nous souhaitons savoir ce qu'elle peut entreprendre sans notre accord, notamment sur les terres et la ferme.
Réponse : Votre question concerne les limites du pouvoir de gestion de l'usufruitier. L'usufruit peut être résumé au droit de se servir de la chose. Ainsi, l'usufruitier peut habiter une maison, il peut la louer ou encore exploiter personnellement des terres. Le droit d'usage de l'usufruitier s'étend aux accessoires de la chose : servitudes, droit de chasse et de pêche. L'usufruitier a aussi le droit de percevoir tous les fruits de la chose. Les fruits naissent et renaissent périodiquement d'une chose sans en épuiser la substance (récoltes annuelles, loyers, etc.). Toutefois, il n'a pas droit aux produits : les produits ne sont pas périodiques et épuisent la substance de la chose dont ils sont issus (coupe d'un bois, produits extraits d'une carrière).
Ce que l'usufruitier peut faire seul :
Le droit de jouissance permet d'accomplir tous les actes d'administration qui correspondent à une exploitation normale du bien soumis à usufruit. Il peut donc par exemple vendre la récolte, passer des baux immobiliers, etc. La limite des pouvoirs concerne notamment les actes de disposition : l'usufruitier ne peut pas vendre les biens, ni les hypothéquer ou les grever d'une servitude.
Ce que le nu-propriétaire peut faire seul :
Le nu-propriétaire a la faculté de disposer librement du bien, sous réserve de respecter le droit temporaire ou viager de l'usufruitier. Ainsi, il peut vendre le bien, le donner, le léguer, l'hypothéquer mais il ne peut disposer que de la seule nue-propriété. Le nu-propriétaire dispose d'un droit général de surveillance sur la chose qui lui permet d'agir contre l'usufruitier lorsque celui-ci ne remplit pas ses obligations, dégrade la chose ou commet un abus de jouissance.
Cas particulier du bail rural :
La conclusion d'un bail rural représente une exception au droit de jouir de l'usufruitier. En effet, le code civil prévoit l'intervention du nu-propriétaire au bail. Concrètement, le bail devra être signé tant par le nu-propriétaire que par l'usufruitier. En revanche, il est de jurisprudence constante que seul l'usufruitier a la qualité de bailleur. Il s'en suit qu'il a le pouvoir de résilier seul le bail (le nu-propriétaire ne peut pas demander la résiliation) ou encore d'autoriser la cession de celui-ci.
Toutefois, si le bail rural a été signé avec le fermier sans l'intervention du nu-propriétaire, il est nul à l'égard de celui-ci. C'est-à-dire que le nu-propriétaire peut demander au tribunal de constater la nullité du contrat. Cette possibilité de saisir le tribunal existe pendant un délai de cinq ans à partir du moment où le nu-propriétaire a eu connaissance du bail. Si le tribunal constate la nullité, le fermier n'a pas le droit de terminer la période de neuf ans pour laquelle le bail avait été conclu. Si l'usufruitier continue à maintenir le fermier sur les parcelles alors que le tribunal a constaté la nullité du bail, ceci peut entraîner la déchéance de l'usufruit pour abus de jouissance.
Pour répondre à votre question, votre mère peut soit exploiter personnellement la ferme et les terres, soit transmettre la jouissance à une tierce personne mais ce seulement de façon temporaire (conventions d'occupation précaire prévu à l'article L. 411-2 du code rural, prêt à usage gratuit...). Elle ne pourra pas valablement conclure un bail rural sans votre accord.
Le service juridique rural de la FDSEA 26, Nathalie Kotomski