Protection active : des détonations de canons pour se protéger contre la grêle

«C'était ça ou j'arrêtais le métier ! » Yvan Perrier est catégorique. Cet agriculteur diversifié en arboriculture, maraîchage, viticulture, sur la commune de Mercurol-Veaunes située à l'est de Tain-l'Hermitage, est le président du GIE Protection grêle MV. « J'ai eu un dégât de grêle à 100 % l'an dernier, je n'ai rien ramassé, raconte l'agriculteur. Avec mes voisins, nous réfléchissions depuis déjà un an à nous équiper de protection contre la grêle. Après avoir tout regardé : les filets anti-grêle ; les chaudières à ions d'argent... nous avons opté pour les canons anti-grêle. » La décision a été prise après avoir rendu visite à une famille d'arboriculteurs, les Favel à Donzère, qui possède des canons anti-grêle depuis plusieurs décennies. « Même si cela n'empêche pas la grêle de toucher parfois leurs parcelles, elle fait beaucoup moins de dégâts depuis qu'ils se sont équipés car ils ont toujours pu récolter des fruits de premier choix », raconte Yvan Perrier.
900 ha protégés
De trois voisins possédant chacun environ 30 ha de cultures, le groupe s'est ensuite étoffé pour réunir près de 90 % des agriculteurs de Mercurol-Veaunes, soit 42 aujourd'hui. « Une petite minorité d'agriculteurs n'a pas souhaité investir parce qu'ils n'y croyaient pas, et d'autres ne pouvaient tout simplement pas en raison de leur situation financière, indique le président du GIE. L'investissement a été de 500 000 euros pour protéger 900 ha, grâce à 11 canons anti-grêle et une station radar pour détecter les orages pouvant générer des grêlons. » C'est un investissement que le GIE va amortir sur dix ans et qui coûte environ chaque année 180 euros/hectare aux agriculteurs en incluant la maintenance, les consommables et l'entretien du système. Depuis la mise en service au printemps, les canons ont tiré l'équivalent de six heures cumulées. « Nous avons déjà eu trois passages de nuages orageux très mauvais. Sur la zone protégée par les canons, il n'y a pas eu de dégâts alors qu'il y en a eu un peu sur les zones limitrophes non protégées avec des pertes d'environ 25 %. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai retrouvé le sommeil, témoigne Yvan Perrier dont la maison est pourtant entourée par deux canons. Je sais que la grêle ne mettra pas tout le travail d'une année par terre. »
Des détonations protectrices
Seul inconvénient, le bruit des canons. Avec une détonation à 130 dB toutes les 7 à 8 secondes pendant 10 à 30 minutes en fonction des orages, les voisins ont été très surpris au début. « Les premiers tirs, qui ont été effectués de nuit le dernier week-end d'avril, ont fait réagir, admet Yvan Perrier. On a alors fait le choix de communiquer de nouveau, en distribuant un tract dans un millier de boîtes aux lettres des riverains pour expliquer le bruit et les avantages du système. »
Aujourd'hui, les réticences ont quasiment disparu. « Les habitants comprennent qu'ils bénéficient aussi de la protection, leur table de jardin, leur bâche de piscine, leur toiture ou leur voiture ne seront pas grêlées, explique l'agriculteur. Même si la gêne est réelle, surtout la nuit, les tirs ne durent pas très longtemps et cela permet de sauver nos récoltes et des emplois sur la commune. » Les agriculteurs du GIE ont choisi de réduire leur budget d'assurance consacré à la grêle, d'autres la conserve par précaution.
Camille Peyrache
Protection passive / L’augmentation des fréquences de précipitations de grêle constatée depuis le milieu des années 1990 a contraint les professionnels à s’engager dans une lutte active contre cet aléa climatique. Témoignage à Cercier, en Haute-Savoie.
Protéger le verger, un investissement stratégique
Dans la partie aval de la vallée des Usses, sur les 90 hectares de vergers de pommiers et poiriers que compte la commune de Cercier, les surfaces de la SCEA Lacroix Alfred (conduite en agriculture biologique) et de l’EARL Verger de Cercier (conduite en agriculture raisonnée mais avec une reconversion de tout ce qui a été possible en bio) en représentent un tiers, soit respectivement 15 hectares pour chacune de ces deux sociétés. Se prémunir contre la grêle, c’est penser à tout, en termes de gestion d’entreprise, de pérennisation de la filière tout entière et de conduite de vergers. Ce que résume très bien Aurélien Lacroix qui, avec ses frères Joachim et Baptiste, est le cogérant de ces deux entités : « Le stockage, le conditionnement et l’expédition de 100 % de notre production sont effectués par la coopérative Val’Fruits. Sachant que la capacité de stockage et d’emballage de la coop est de 2 000 tonnes, nous, nous représentons 900 à 1 000 tonnes annuelles ». Deux autres arguments prévalent tout autant. « A l’étal, une pomme grêlée est invendable. Il faut un beau fruit, la législation est ainsi faite, explique-t-il. D’où le déclassement du lot grêlé directement en catégorie 2, celle de l’industrie. Or le prix du jus, c’est 0,10 € du kilo. Alors que le prix moyen d’un kilo de pommes catégorie 1, au départ station, est de 1,30 €. Par ailleurs, le prix de la cueillette d’une pomme se situe, hors amortissement des matériels, à 0,08 € du kilo. Autrement dit, une production qui part au jus ne pourrait payer que les cueilleurs. Diriger un verger de pommes à couteau en pommes à jus, c’est aller à sa perte ».L’approche commerciale est certes différente en agriculture bio et en conventionnel mais l’objectif premier reste le même : le producteur doit être en capacité de fournir les volumes attendus. L’approche sur l’installation des filets paragrêle est d’abord de couvrir les vergers de pommiers. La priorité serait bien sûr de tout couvrir mais il faut agir au plus urgent, compte tenu aussi de la sensibilité plus forte des pommes à la grêle que les poires ayant un épiderme plus « rustique ».

Le choix de filets paragrêle
Actuellement, pour ces arboriculteurs, 80 à 90 % de leurs vergers de pommiers et 20 % de celui de poiriers sont munis de filets paragrêle. Les deux systèmes adoptés sont les filets croisés pour les vergers bas allant jusqu’à trois mètres, et les filets V5 pour ceux plus hauts. Ils obéissent tous deux au principe de couverture totale horizontale de la parcelle. En 1996, les premiers filets qui ont été installés étaient des filets superposés, qui avaient techniquement leurs limites. L’enveloppement par filets chaussettes n’a jamais été retenu car, s’il est moins cher, le fruit en contact avec le filet peut être touché par la grêle.
En filets croisés et en V5, le coût du filet lui-même est aujourd’hui de 0,26 € le m2 (net HT). Exemple : pour une parcelle de 18 rangs (soit 1,5 ha) en système croisé à 5,30 m de largeur, le coût s’établit à 20 400 € (net HT), dont un montant de 8 896 € de filets (option cristal), et le reste en accessoires (élastiques, plaquettes, peignes, chapeaux, ancres, élingues…). Ramené à l’hectare, l’investissement en filet cristal et structure complète se situe à 14 571 € HT. L’installation est assurée par les arboriculteurs eux-mêmes, avec leur personnel. Il faut deux personnes. Expérimentées et travaillant vite, elles mettront 90 heures par hectare pour cette installation ; moins expérimentées mais avec un travail toujours bien fait, il faut 150 heures. Dans ce secteur, la durée de vie des filets cristal est de 10 ans ; de 15 ans pour les filets noirs (adaptées aux variétés ayant moins besoin d’ensoleillement). Il s’agit donc bien d’un investissement, sachant que le renouvellement des filets (il s’agira de la moitié du coût total initial à l’hectare) s’opère en essayant de faire coïncider le filet avec l’âge du verger. Le renouvellement du verger et les renouvellements de filets doivent être menés en cohérence, dans une logique globale, culturale et économique.
Armelle Lacôte