Sortir le Nord-Drôme des restrictions d'irrigation sans fin
Avec des volumes prélevables qui pourraient encore diminuer fortement, les agriculteurs du Nord-Drôme s'inquiètent pour leur avenir. Ils ont expliqué leur situation au préfet de la Drôme en lui rappelant les nombreux efforts déjà réalisés pour économiser l'eau.

Dossier ultra-sensible sur le Nord-Drôme depuis des années, les volumes d'eau prélevables pour l'irrigation pourraient fortement diminuer l'année prochaine. Depuis 2014, la baisse annoncée de 40 % fait l'objet d'un moratoire, lequel prend fin au 31 décembre prochain. Pour expliquer au nouveau préfet de la Drôme les dangers d'une telle restriction, la FDSEA l'a convié à Châteauneuf-de-Galaure, le 22 novembre. Sous le hangar du Gaec des Baratons, une quarantaine d'agriculteurs ont assisté à la rencontre et plusieurs sont venus témoigner. Avant cela, le maire de la commune a pris la parole : « En prenant vos fonctions de préfet, vous avez déclaré “sobriété, sobriété, sobriété” à propos de l'eau. Moi, je vous dis “solution, solution solution” car il faut continuer à produire. »
« Le climat change, on ne pourra plus faire comme avant, a rétorqué le préfet. Il faut avancer et voir comment l'on fait pour s'adapter. » Des mots qui ont fait réagir. « Nous ne faisons plus comme avant depuis longtemps, nous nous adaptons en permanence, a dit Christian Nagearaffe, agriculteur à Montmiral. Il faut objectiver la situation de la ressource en eau sans être catastrophiste. »
Avoir de la visibilité
Les agriculteurs ont demandé à sortir d'un système de restrictions de l'irrigation sans fin pour pouvoir se projeter et avoir de la visibilité pour leur exploitation. ©CL-AD26
Ce que demandent avant tout les agriculteurs, c'est la prise en compte de leurs efforts pour consommer moins d'eau. Ils veulent également sortir d'un système de restrictions de l'irrigation sans fin pour pouvoir se projeter et avoir de la visibilité pour leur exploitation. Le stockage de l'eau est pour eux une priorité, de même que l'utilisation raisonnée de la ressource présente dans l'immense nappe phréatique de la molasse.
Anaïs Robert et son père (Gaec des Baratons) ont expliqué au préfet l'évolution de leur ferme vers l'autonomie alimentaire de leur élevage de chèvres. « L'irrigation nous sert à produire nos fourrages. Et comme nous sommes en AOP Picodon, tout doit être fait sur place. C'est une irrigation de survie et non de confort. » Pour Christian Bourrut (Gaec Bourrut à Saint-Martin-d'Août), éleveur de vaches laitières et de porcs, « l'irrigation est essentielle pour notre approvisionnement en fourrages et céréales. Avec nos terrains séchants, on ne récolte rien si l'on n'a pas d'eau, a-t-il indiqué. Un déficit fourrager nous obligerait à décapitaliser notre cheptel, ce qui est inenvisageable pour maintenir les emplois de notre exploitation, et déstabiliserait la collecte de lait. » Il a particulièrement insisté sur les évolutions mises en œuvre pour économiser l'eau : achat d'un pivot, implantation de méteils, réduction des surfaces de maïs... »
« On va perdre des exploitations et des filières »
Depuis qu'il est installé, en 2006, Lilian Berthelin (EARL Les prés nouveaux à Claveyson), éleveur de bovins, a mis en œuvre son projet d'autonomie alimentaire. « Il a fallu six ans pour y arriver. On a modifié les rotations, on utilise des outils d'aides à décision, on a divisé par deux notre sole de maïs. Ça fait des années qu'on ne travaille plus comme avant, a-t-il appuyé. Et ça fait quinze ans que le monde agricole est sobre en eau. À force de raboter sur l'utilisation raisonnée de l'eau, on va perdre des exploitations et des filières. » Il a mis l'accent sur la production de volailles en Drôme, qui peut s'apparenter à un circuit court industriel : céréales produites localement, volailles élevées, abattues et transformées dans le département... « Si on supprime le maïs, tout s'écroule », a-t-il prévenu.
Autre témoignage, celui d'Émilie Froget (EARL Les légumes de la Galaure à Saint-Avit) : « Nous avons mis en place du goutte à goutte, du paillage. Même si on économise l'eau, il en faut pour produire des légumes, et plus encore dans les terres sableuses. Nous approvisionnons des cantines locales. Si demain nous ne sommes plus là, d'où viendront les légumes ? » Elle aussi demande de la visibilité et la reconnaissance des efforts déjà entrepris.
« Augmenter les volumes prélevables »
En tant que président de l'OUGC 26, Jean-Pierre Royannez a demandé une augmentation des volumes prélevables. ©CL-AD26
« L'équilibre économique de mon exploitation passe par le maintien de la diversification (grandes cultures, asperge, tabac, volailles), a expliqué Quentin Ducellier (Châteauneuf-de-Galaure). J'ai mis en place le goutte à goutte sur les asperges mais si je ne peux irriguer suffisamment, la perte de rendement est très importante. Et si je venais à perdre sur la production de tabac, culture à forte valeur ajoutée, cela pourrait être fatal » Face au préfet, il prévient : « S'il faut encore changer de culture, c'est à nouveau un investissement, une prise de risque. Ce n'est plus possible, je dis stop ». Guy Péran, ancien exploitant au Grand-Serre, s'est inquiété des tensions sur l'équilibre économique des exploitations et leur transmission. Son repreneur, Alexis Robert, a déjà adapté son système cultural en diminuant sa sole de maïs pour permettre l'irrigation de ses noyers.
Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d'agriculture et de l'OUGC 26, structure en charge de la gestion et de la répartition des volumes d'eau prélevés à usage agricole, a fustigé les dernières études sur les volumes prélevables. « Cette année, sur ce territoire, on a pu donner 4,3 millions de mètres cubes alors que les besoins initiaux étaient de 6,4 millions au vu des assolements. À l'avenir, en période d'étiage, on ne pourrait plus donner que 2,33 millions de mètres cubes. Avec cela, on serait dans l'incapacité de poursuivre l'activité agricole », a-t-il fait remarquer. Compte tenu de la géographie de la Galaure, certains dispositifs d'économie d'eau (comme les pivots) ne sont pas adaptés. Quant aux solutions de substitution (fleuve Rhône, rivière Isère, grande retenue superficielle alimentée par la Galaure), elles aboutiraient à un prix de l'eau trop élevé. « Sur ce secteur, ce qui reste possible, ce sont les infiltrations actives dans les nappes, a indiqué Jean-Pierre Royannez. À condition que les volumes prélevables augmentent. »
Christophe Ledoux
Ce qu'a dit le préfet

« On ne va pas interdire l'irrigation, a déclaré le préfet de la Drôme, Thierry Devimeux, après avoir écouté les agriculteurs. La question est comment collectivement on pense la gestion de l'eau entre agriculture, industrie, nature et eau potable, qui se partagent la même ressource. […] J'entends vos besoins légitimes et votre intelligence collective sera nécessaire pour trouver des solutions face au réchauffement climatique. Il faut trouver le bon équilibre pour vous donner de la visibilité. »
À la sobriété répétée trois fois, le préfet ajoute « efficacité » (adaptation des systèmes, innovations...) et « sécurisation de la ressource ». S'il considère que la ressource en eau superficielle est « à laisser à la nature », il se montre prudent sur les prélèvements dans la nappe, du fait de son inertie. « Une étude est nécessaire pour connaître sa sensibilité et son potentiel », a-t-il dit. Un propos qui a fait réagir Lilian Berthelin : « La modélisation de la nappe montre qu'elle est à l'équilibre ».
« Vous avez besoin d'eau mais sans adaptation vous serez mis à genoux par le réchauffement climatique, a poursuivi le préfet. Il faut arriver à être résilient sans opposer les territoires et les usages. Chacun doit faire des efforts pour se répartir l'eau. »
C.L.