Sur le marché de l’ail, la diplomatie comme maître-mot
Le groupe de contact ail, composé des délégations italiennes et espagnoles, a rencontré la délégation française dans la Drôme, les 1er et 2 avril.
L’Association des producteurs d’ail de la Drôme (Apad), Prosemail et l’association nationale interprofessionnelle de l'ail (Aniail) ont invité leurs homologues espagnols et italiens pour faire le point sur le marché à Chabrillan, les 1er et 2 avril.
Le groupe de contact ail a été créé dans les années 1990 à la suite de manifestations à la frontière espagnole. Des palettes d’ail avaient été déversées en guise de protestation. Depuis, un groupe de contact ail, composé des délégations de la zone sud de l’Europe (Espagne, Italie et France), se réunit chaque année pour échanger et éviter des tensions diplomatiques.
« Cette année, les Espagnols ont peu de stock donc les prix ne devraient pas être tirés vers le bas », rapporte Stéphane Boutarin, producteur drômois qui est aussi vice-président de l’Aniail et de l’Apad. Toutefois, une incertitude demeure : quant sera-t-il de la production chinoise bloquée par les taxes imposées par les États-Unis ?
Une concurrence persistante
L’Italie et la France concentrent chacune 3 500 hectares de production d’ail contre près de 23 000 hectares en Espagne. Ainsi, chaque année, le volume des stocks inquiète les producteurs. À noter que 50 % de l’ail consommé en France est importé d’Espagne. « S’ils ont du stock dans le frigo, les Espagnols bradent leur production et le marché tire les prix vers le bas », explique Stéphane Boutarin.
Cette année, les producteurs français sortent « assez rassurés » de cette rencontre. « Le manque d’eau en Espagne, les prix des terres qui ont exposé impliquent des coûts de production plus importants, leur production a baissé de 20 à 30 % ces dernières années », rapporte le vice-président. Face à ce contexte, les discussions ne se sont pas envenimées entre les délégations. En effet, chaque année des délégués agricoles des ambassades assistent aux réunions pour assurer des échanges diplomatiques entre les parties.
« Ça peut très vite être musclé quand les Espagnols ont des stocks et qu’ils veulent tirer les prix vers le bas. Les attachés d’ambassade essaient d’user de diplomatie. En général, c’est compliqué pr nous mais cela fait deux ou trois ans que les Espagnols sont allés chercher d’autres marchés. Ils entrent en concurrence avec la Chine, détaille Stéphane Boutarin. Sur Taïwan, la position de Tump peut-être un marqueur positif ou négatif, les enjeux de commercialisation mondiale peuvent se décaler. Les États-Unis sont aussi producteurs d’ail mais ils en font venir de Chine. Où va aller leur ail ? Ils produisent près de six millions de tonnes. À priori, ça devrait bien se passer. Mais, avec ces enjeux de taxes et de douanes, nous n’avons pas de recul ni de vision claire », évalue le représentant. La production française arrive sur marché en août mais celle de la Chine, plus précoce, se vend à partir de juin.
« En France, pour le moment, nous avons peu de pression car il y a peu d’ail chinois, à part celui qui est transformé. Depuis deux ou trois ans, l’Égypte et le Maroc montent avec de l’ail frais. On ressent une certaine agressivité sur le marché pour arriver tôt. Nos collègues du Sud de la France bataillent un peu avec cette production car ces concurrents proposent des prix plus bas, analyse Stéphane Boutarin. L’Argentine produit en contre-saison (décembre-janvier) et de manière plus onéreuse. Ses producteurs arrivent à des prix qui ne nous font pas de tord. Ils ne nous déstabilisent pas et, gustativement, ils rehaussent la qualité ».
Harmoniser les homologations de phytosanitaire
Lors de la réunion du groupe de contact, les trois pays ont rapporté des coûts de production en hausse, une main d’œuvre plus chère, une hausse du prix de électricité pour sécher l’ail, des engrais et des produits phytosanitaires plus chers...
« Donc cela nous alerte. La grande surface française nous demande de faire des efforts et des petits prix. C’est ce qui tire le marché vers le bas. Nous subissons une pression lors des négociations sur une partie de la gamme. Nous sommes inquiets car nous aurons du mal à tenir les producteurs. D’ailleurs, des visites de magasins sont prévues pour questionner la grande surface à ce sujet, annonce Stéphane Boutarin. Nous sommes conscients que le panier du consommateur est cher mais ça n’est pas dans l’alimentaire brut que c’est le plus cher. Le prix du légume français a très peu augmenté en comparaison à nos coûts de production. Par contre, ce sont les produits transformés qui ont beaucoup augmenté ».
Si les surfaces de productions restent stables en France, le renouvellement des générations de producteurs d’ail interroge. « Cela devient compliqué de travailler ces produits. La jeune génération en a plein de dos. Les producteurs d’ail deviennent de plus en plus spécialisés. Par la passé, nous avions des producteur qui faisaient de la grande culture. Aujourd’hui, nous trouvons ça dommage. Nous sommes obligés de nous diversifier car nous ne pouvons pas faire que de l’ail, mais l’exploitation devient tributaire du volume », explique-t-il.
En 2024, le groupe de contact avait réalisé une étude comparative des produits phytosanitaires homologués dans les pays de la zone sud. Au total, 138 solutions homologuées (désherbant, insecticide, fongicide, biostimulant…) avaient été recensées. Il en été ressorti que 40 produits ne sont pas homologués en Espagne, 75 en France et 107 en Italie. « L’harmonisation n’y est pas. La France décrète plus de mesures sur les produits. Forcement, s’ils en enlèvent, cela pose problème. Surtout que l’ensemble de la production de fruits et de légumes navigue en Europe. Donc nous consommons quand même des marchandises produites avec des produits non homologués chez nous. Autant avoir une harmonisation », examine le représentant. Le groupe de contact ail souhaite partager cette étude avec la commission européenne.
« Nous pouvons au moins parvenir à maintenir certains produits ou à avoir des dérogations momentanées. Les firmes phytosanitaires se désengagent sur certains produits car elles ne parviennent pas à les commercialiser en France. Si nous avions des homologations européennes, nous y gagnerions tous », estime-t-il. La délégation française devrait dans un premier temps partager le compte-rendu de la réunion avec un comité légumes et fruits français, auquel devrait participer un représentant du ministère de l’agriculture. Il devrait se tenir à fin avril à Perpignan lors du salon Medfel.