Artisanat
La Fabrique de poteries de Cliousclat : 120 ans d’histoire

Un sanctuaire de la terre vernissée. C’est ainsi que se définit la Fabrique de poteries de Cliousclat, implantée depuis 1903 dans le petit village perché de la Drôme provençale.

La Fabrique de poteries de Cliousclat : 120 ans d’histoire
La terre argileuse pour confectionner les poteries de Cliousclat est extraite d’une carrière située à proximité de l’atelier. ©AP

«La fabrication de poteries fait partie intégrante des activités du village de Cliousclat, aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps. Les premières traces écrites de l’histoire du village datent du début du Xe siècle, mais rien ne vient contredire l’existence antérieure d’un rassemblement de population en ce lieu. Quoi qu’il en soit, les gisements importants d’argile qui entourent le village laissent supposer que, de tout temps, les hommes ont dû les exploiter. Il suffit de regarder les murs des maisons anciennes, les ruines et autres vestiges de la vie à Cliousclat, pour apercevoir, mêlés à la maçonnerie, des tessons de poterie, témoins de la fabrication séculaire de ces objets de terre cuite et vernissée », apprend-on dans Poteries et potiers Cliousclat Drôme, un livre qui retrace l’histoire de La Fabrique de poteries de Cliousclat, un petit village perché de la Drôme provençale. « Au XIXe siècle, les familles d’agriculteurs du village complétaient leur temps de travail par une activité potière », explique Jean-François Gontard, gérant bénévole de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) La Fabrique de poteries. « Le village est construit sur une veine d’argile. Nous utilisons donc depuis toujours la terre de Cliousclat, extraite de la carrière située à quelques mètres de là, pour confectionner nos poteries. C’est une richesse inépuisable à la porte de notre atelier », poursuit-il.

Un peu d’histoire

C’est en 1903 que Marius Anjaleras (1852-1928), fils d’un agriculteur venu d’Ardèche, fonda la poterie de Cliousclat, dans l’idée de regrouper les potiers de la commune au sein d’un même lieu. Les ateliers s’inscrivent dans la suite logique d’un savoir-faire et d’un patrimoine d’antan. À l’époque, l’argile, moins chère que le verre, était utilisée pour fabriquer des ustensiles destinés à contenir des liquides (lait, huile, vin), confitures, olives et autres grains. Une poterie qui se voulait avant tout utilitaire. Dans le village, presque chaque famille disposait de son tour pour réaliser ces pièces du quotidien. « Jusque dans les années 1960, la production était essentiellement tournée vers le monde agricole. Il était courant d’entendre les anciens dire : ‘‘ la terre de Cliou ne donne pas de goûts’’ aux produits alimentaires », raconte Jean-François Gontard. C’est dans ces années-là que la Fabrique de poteries va connaître un premier grand virage, avec l’arrivée de la concurrence du plastique et du métal. « L’activité a beaucoup périclité à ce moment-là. C’est alors qu’est arrivé Philippe Sourdive, un céramiste d’Aix-en-Provence, qui rachète la poterie en 1964 pour la faire évoluer vers le décor traditionnel. Il introduit une poterie plus populaire d’assiettes, de bols ou coupelles », ajoute-t-il. 
À son décès, ce sont ses fils, Nicolas et Olivier Sourdive, qui ont repris la propriété de la Fabrique, jusqu’au début des années 2010.

Investir pour la survie de la Fabrique

En 2012, le gérant en place cesse l’activité et sonne le glas de la Fabrique, vieille de plus de cent ans. « À ce moment-là, la mairie a racheté le bâtiment pour sauver et préserver ce patrimoine potier qui fait la réputation de notre 
village », déclare celui qui a également été premier édile de cette commune de 750 habitants dans le passé. La municipalité s’est alors lancée dans un programme de travaux. Plus de 1 600 000 € ont été investis par la 
commune (avec le soutien des collectivités locales, ndlr) pour permettre la remise aux normes des bâtiments (réfection de toitures et des sols, chauffage, etc.), l’aménagement des ateliers et d’un espace d’exposition permanent. Une autre tranche de travaux est prévue à hauteur de 600 000 €.
En parallèle, une Scic créée en 2017, réunissant près de 125 personnes (actionnaires et titres participatifs), a permis de financer le redémarrage de l’activité et assurer ainsi une continuité dans la tradition de la production de terre vernissée.
Aujourd’hui, la Fabrique de poteries doit faire face à l’inflation. « La situation est délicate depuis la crise sanitaire. Nous avons ressenti un coup de frein important. Les conséquences ont été énormes sur l’année qui a suivi. Si le chiffre d’affaires a augmenté durant ces six dernières années, les charges ont également beaucoup évolué. La situation économique de l’entreprise est donc fragile », regrette Jean-François Gontard.

9 000 pièces vendues chaque année

Pour autant, Cliousclat, reconnu comme un village potier, attire chaque année près de 20 000 visiteurs. « La notoriété de la commune est intimement liée à la poterie. C’est donc un vrai défi pour nous et nos salariées, des passionnés qui mettons beaucoup de cœur dans la réalisation de nos créations », assure le gérant bénévole. Avec ses quatre salariées, la Fabrique produit désormais un large panel de 300 articles différents : des outils de cuisine (plats, assiettes, tasses, saladiers...), de grosses pièces pour le jardin (vases, jarres, fontaines...) et des petites pièces dites « fantaisies ». Les potières répondent également à toutes les demandes des particuliers. « Nous vendons environ 8 000 à 9 000 pièces de poteries par an, soit 8 à 9 tonnes d’argile utilisées, en grande majorité au sein de notre boutique », conclut Jean-François Gontard.

Amandine Priolet

La Fabrique de poteries ouvre les portes de son atelier aux visiteurs toute l’année (hors 25 décembre et 1er janvier), de 10 h à 12 h 30 et de 14 h à 18 h (19 h en été) - 664, grande Rue, 26270 Cliousclat - Tél. : 04 75 43 60 39 - [email protected].

Une protection au titre des Monuments historiques

Depuis 1997, la Fabrique de poteries de Cliousclat est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques au titre d’un patrimoine industriel abritant des savoir-faire et des méthodes de travail spécifiques. Des outils d’époque sont également protégés par cette inscription : tours, four à bois, barres de séchage. La poterie de Cliousclat est donc aujourd’hui un conservatoire vivant des savoir-faire potiers. 

Isabelle Gontard, une potière passionnée
Isabelle Gontard réalise les différents décors à l’aide d’un simple clou. © AP

Isabelle Gontard, une potière passionnée

Depuis 1983, Isabelle Gontard fait partie de l’histoire de la Fabrique de poteries de Cliousclat. « Quand j’ai découvert ce lieu, j’ai immédiatement su que je voulais travailler ici. Je me suis très vite intéressée à l’histoire de la poterie », annonce-t-elle. À son arrivée, elle a été formée sur le tas et a découvert, au fil des années, toutes les techniques de fabrication des poteries. « C’est Nicolas Sourdive, grand décorateur de la maison, qui m’a initiée aux décors », se souvient-elle. En toute humilité, elle avoue avoir mis longtemps à mettre au point ses dessins, qu’elle réalise depuis désormais vingt-deux ans.
Passionnée par son métier et attachée à cette Fabrique, elle s’est battue pour faire repartir l’activité potière au milieu des années 2010 et est à l’origine de la création de la société coopérative d’intérêt collectif. Désormais, Isabelle Gontard est animée par la volonté d’assurer la transmission de cette tradition ancestrale. 
A. P.