Filtrer l’eau pour réduire les intrants

Dans un souci de répondre aux attentes sociétales, la chambre d'agriculture de la Drôme, par l'intermédiaire de son groupe d'agriculteurs Dephy semences, travaille à la réduction de l'usage des produits phytosanitaires. C'est dans ce cadre qu'Aurore Magnon, conseillère spécialisée grandes cultures et Ppam* à la chambre d'agriculture de la Drôme, a convié, le 16 décembre sur l'exploitation de Nicolas Crouzon à Marsanne, les agriculteurs semenciers de Drôme et d'Ardèche à une journée d'information. Celle-ci portait sur l'optimisation des traitements phytos à l'aide d'une machine de traitement des eaux.
Sur place, la quinzaine d'agriculteurs et représentants de coopératives a pu découvrir une station de filtration des eaux. Celle-ci permet d'adapter l'eau en fonction des conditions d'application des pesticides, en travaillant sur un pH, une température de solubilité et une conductivité optimum.
Moins de phytos et d'eau
De plus, la station de filtration peut retirer l'intégralité des minéraux présents dans l'eau afin d'offrir une meilleure homogénéité à la bouillie. « Pour une optimisation des traitements, il faut aussi bénéficier de conditions météorologiques optimales : température entre 12 et 20 °C, hygrométrie comprise entre 60 et 95 %, vent le plus proche de 0 km/h... Pour que ces trois situations soient réunies, il est préconisé de traiter généralement entre 4 et 10 h du matin », souligne Aurore Magnon. Le stade de la culture ou des adventices a également son rôle à jouer, tout comme la qualité de la bouillie, à savoir sa concentration, le choix du produit, la dureté de l'eau, le pH de la solution... Dans ce dernier cas, la machine de traitements des eaux d'Aqua-Phyto a son intérêt.
« L'objectif majeur de cette machine est de réduire les apports, et donc les coûts, des intrants », annonce Aurore Magnon. La conseillère de la chambre d'agriculture de la Drôme a donc laissé la parole à Benjamin Saindon, responsable technico-commercial pour la société Aqua-Phyto, basée à Chinon (37). « Nous intervenons depuis trente ans dans la filtration des eaux dans le milieu agricole (eaux à usages phytosanitaires, eaux de boisson en élevage) en Europe et Afrique, explique-t-il. En misant sur une eau pure, nous optimisons la qualité de pulvérisation des produits phytosanitaires. Plusieurs études montrent en effet que 70 % des produits incorporés dans une eau brute sont perdus. Les agriculteurs obtiennent donc satisfaction, avec des intrants, grâce aux 30 % restants. »
Quatre actions phares
Aqua-Phyto adapte les conditions de solubilité de l'eau de pulvérisation à partir des informations de l'index phytosanitaire et des fiches de sécurité fournis par les fabricants. La station de filtration repose alors sur quatre actions phares. Dans un premier temps, l'eau est déminéralisée pour stopper les interactions entre les charges contenues sur les minéraux et la formule chimique. Le pH est ensuite régulé en fonction de la molécule utilisée pour éviter tout phénomène d'hydrolyse. Puis la conductivité de l'eau est ajustée pour optimiser la pénétration de la bouillie dans la plante. Et, pour finir, la température de l'eau est programmée entre 20 et 25 °C. « Dans la réalité, les agriculteurs ont l'habitude de solubiliser les intrants dans une eau inférieure à 15 °C. A cette température, trop froide, les produits restent au fond du pulvérisateur », souligne Benjamin Saindon.
Le système conduit également à abaisser le volume d'eau à l'hectare : ainsi, un produit préconisé à 2 litres par hectare obtient son homologation en céréales sur un volume de 200 l d'eau, soit une concentration de la bouillie à 1 %. Aqua-Phyto, par le biais de sa station de filtration, conçoit d'appliquer la même concentration pour 100 l d'eau. « Nous avons ainsi une meilleure concentration de la bouillie tout en réduisant de 50 % la quantité de produit épandu à l'hectare », continue le responsable.
Si chaque machine s'adapte en fonction des besoins de l'exploitation et des productions, le prix est compris dans une fourchette pouvant aller de 20 000 à 50 000 euros selon la taille de la station. Pour l'heure, il n'existe aucune subvention malgré l'intérêt formel d'une telle acquisition. En revanche, le retour sur investissement est estimé d'un à quatre ans, grâce aux économies de près de 50 % sur les factures de produits phytosanitaires.
Amandine Priolet
* Ppam : plantes à parfum, aromatiques et médicinales.
Nicolas Crouzon, membre du réseau Dephy
L’après-midi de découverte de la station de filtration des eaux s’est déroulée sur l’exploitation de Nicolas Crouzon, agriculteur depuis vingt-cinq ans à Marsanne. L’exploitant cultive 130 hectares en agriculture conventionnelle, dont 60 en céréales, 30 en luzerne et le reste en semences (maïs, colza, tournesol). Il y a tout juste un an, il s’est doté d’une station de filtration des eaux, installée dans un local technique de 20 m². « L’objectif était de diminuer l’usage des produits phytosanitaires par deux, non seulement pour l’aspect financier mais aussi pour faire face à la pression de la société quant à la réduction des intrants », explique-t-il. Après seulement une saison de recul, l’agriculteur est satisfait de son investissement, à hauteur de 25 000 euros. « J’ai réellement pu diviser par deux l’apport de produits phytosanitaires dans mes parcelles, tout en ayant de très bons rendements. De plus, la machine est simple d’utilisation et nous offre un gain de temps considérable. Nous n’avons plus besoin de faire des allers-retours sur l’exploitation pour venir chercher de l’eau. Je peux pulvériser jusqu’à 40 hectares d’un coup », souligne l’agriculteur. La seule limite qu’il rencontre est le fait de devoir anticiper sur ses traitements phyto, afin que l’eau atteigne la température idéale. « Il faut simplement anticiper et adapter son travail », conclut Nicolas Crouzon, membre du groupe Dephy Ecophyto. Avec de tels résultats, il estime un retour sur investissement en trois ans. A. P.
Le groupe Dephy Semences, une vision d’avenir
Créé en 2012, le groupe Dephy Semences Drôme-Ardèche est aujourd’hui composé de quatorze exploitants agricoles. A raison de trois à quatre réunions par an, il s’est fixé comme objectifs de donner accès à leurs itinéraires techniques, réfléchir aux possibilités de baisse de protection phytosanitaire, d’explorer les nouvelles pratiques et de mettre l’agronomie au cœur du métier. Parmi les nouvelles pratiques visant à réduire les intrants, le désherbage mécanique, la lutte biologique, l’agriculture numérique ou encore l’optimisation de la pulvérisation apparaissent comme les solutions du futur.