Fruits à coque : pépites ou poudre de perlimpinpin ?
Le Cluster bio Auvergne-Rhône-Alpes a organisé une rencontre autour de l’émergence des filières fruits à coque, le 28 novembre à Montélimar.

Star des fruits à coque, l’amande semble offrir de belles perspectives de production et de vente à en croire son volume d’importation. En 2023, près de 45 000 tonnes ont été importées en France depuis l’Espagne, l’Italie ou les États-Unis... Constat similaire, en bien moindre quantités, pour les noisettes, pistaches et noix de pécan. Et la production française dans tout cela ? Elle reste assez faible (voir encadré). Dans ce contexte, beaucoup voient une véritable opportunité à produire ces fruits à coques dans l'Hexagone. Cependant, plusieurs facteurs noircissent le tableau. En ligne de mire, les coûts de production et les les prix de vente toujours malmenés par la concurrence européenne et mondiale, ainsi que les aléas climatiques. Peut-on alors envisager une relocalisation ? Pour répondre à cette question, direction Montélimar, capitale du nougat français. Une ville symbolique pour parler des fruits à coque, choisie par le Cluster bio Aura et ses partenaires¹.
Rentabilité de l’amande, une coquille vide ?
Un nougatier, un biscuitier, deux chocolatiers et un transformateur de la région ont répondu à un questionnaire du Cluster bio sur leurs besoins et attentes. Tous sont intéressés par une production d’origine française, la noisette et l’amande en premières positions. Toutefois, pour se lancer, ces professionnels souhaiteraient des volumes de cinq à six tonnes. Une projection assez basse… Et un prix d’achat annoncé qui fait grimacer certains producteurs dans la salle tel qu’Hervé Lauzier, producteur d’amandes depuis plus de trente ans à Châteauneuf-du-Rhône. Venu de la métropole lyonnaise, Mohammed Ala, fondateur de Milkd, fabricant de boissons végétales, explique ce prix. En tant que transformateur, il prévoit d’acheter ses amandes en Espagne au prix de huit euros le kilo. « C’est déjà cher pour avoir de la rentabilité », précise-t-il. Vendre ses amandes à ce prix-là, pour un producteur français, signifierait vendre à perte.
Pour un rendement de 600 kg par hectare d’amandes bio, le seuil de rentabilité nulle avoisinerait les 12,30 € selon une étude réalisée il y a deux ans par Valence Romans Agglo. De quoi refroidir les porteurs de projets présents dans la salle. Hervé Lauzier parle quant à lui d’un prix de revient à 13 € le kilo pour des amandes non certifiées bio.
« Pas une espèce facile »
Autres points noirs : le changement climatique et les parasites. Myriam Desanlis, chargée de mission arboriculture à la Fédération régionale des agriculteurs bio d'Auvergne-Rhône-Alpes (Frab Aura) dresse un tableau climatique mitigé avec des hausses de températures, des gelées moins précoces, moins de précipitations… « Ça ne va faire qu’augmenter. Moi le gel, j’y fais déjà face. La seule solution, c’est de faire des recherches et trouver des variétés plus tardives », estime Hervé Lauzier.
En Haute-Garonne, Martin D’archimbaud (Ferme La Granja) a planté 17 000 amandiers bio entre 2022 et 2024. Cette année, il a valorisé sa première récolte de 700 kilos auprès de magasins de producteurs et de chocolatiers.
Benoit Chauvin-Buthaud, ingénieur spécialisé en arboriculture fruitière à la chambre d’agriculture de la Drôme, « tord le cou aux idées reçues ». Selon lui, « l’amandier n’est pas une espèce facile même si on la présente souvent comme une espèce miracle adaptée au changement climatique. Une espèce rustique avec moins de besoins en eau, certes, mais avec des problèmes phytosanitaires menant à une impasse technique. Il peut y avoir des dégâts sur plus de 50 % des vergers ». Verrous de production et facteurs de risques sonnent comme des avertissements à ceux qui souhaitent se lancer dans la filière amandes.
Moins de risques en filière
Les noisetiers, pacaniers et pistachiers s’avèrent quant à eux assez gourmands en eau : respectivement de 1 200 à 2 000 m³/ha, de 3 500 à 4 000 m³/ha et 1 000 m³/ha. Les noisetiers peuvent être fortement touchés par le balanin et la punaise diabolique. Rémy Frissant, cofondateur de la société Amandera en Haute-Garonne, développe depuis 2019 une filière locale de fruits à coques. De son côté, Rémy Frissant commercialise ses produits via la marque Pépite et ses références en magasins spécialisés bio. Toutefois, il s’appuie aussi sur d’autres sources de revenus sur le verger tel que le crédit carbone. Son objectif : trouver d’autres leviers.
À noter, les noisetiers craignent les fortes pluies ainsi que les fortes chaleurs. L’excès d’eau peut provoquer 50 % de pertes de volumes de production. Pour les pacaniers, l’Association française d’agroforesterie s’est lancée dans la création d’une filière française au départ de la région Nouvelle-Aquitaine à travers un plan d’expérimentations qui court jusqu’en 2027. Pas de menaces de maladies observées sur cet arbre pour l’instant en France. Toutefois, en Espagne, le puceron jaune fait partie de ses ravageurs.
Benoît Dufay, coordinateur syndical de France pistache, Hervé Lauzier, producteur d’amandes et Martin D’archimbaud de la Ferme La Granja sont intervenus devant les participants. ©ME-AD26
S'assurer de débouchés commerciaux
Concernant le pistachier, il est reconnu depuis trois ans comme fruit à coque en France. Benoît Dufay, coordinateur syndical de France pistache, encourage les professionnels à se lancer. Actuellement, environ 120 producteurs sont membres du syndicat et travaillent 230 hectares principalement en Occitanie. « Le défi, c’est de créer une filière en partant de zéro. Il y a tout à faire. Il faut que des collectifs se développent pour acquérir des ateliers et du matériel », estime ce dernier. La pistache décortiquée, la transformation artisanale, le snacking et la pistache cassée offriraient selon Benoît Dufay un « vrai marché ».
Certains professionnels s’interrogent sur le débouché de la cosmétique. C’est possible à en croire Brigitte Magnat, co-fondatrice de Douceur cerise, société de cosmétiques française et bio basée en Isère. Cette dernière a assisté à la rencontre car elle recherche des amandes et noisettes locales en petits volumes. Attentif aux différents témoignages, Benoît Chauvin-Buthaud conseille la prudence aux porteurs de projets. « Le mieux reste de partager le risque producteur entre différents acteurs de la filière et s’assurer d’avoir suffisamment de débouchés commerciaux ».
¹ Chambre d’agriculture, Frab Aura, Coopération agricole, Région Aura et ministère de l’Agriculture
Chiffres de la production de fruits à coque (France)
- 1 200 tonnes d’amandes dont 100 tonnes en bio en 2023 (circuits bio)
- 8 000 hectares de noisettes dont 1 570 en bio en 2020 (RA et Agence bio)
- 450 hectares de pistaches dont 57 hectares en bio (France pistache)
Des amandes pour Happy Hours en Biovallée
Depuis sa création en 2017, la société transformatrice de fruits secs basée à Eurre, Happy Hours, s’intéresse à l’approvisionnement français. Pour l’instant, l’entreprise transforme entre 60 et 80 tonnes d’amandes en provenance d’Espagne. « Si nous achetons à un producteur français bio, nous allons devoir vendre nos produits beaucoup plus chers », déplore Gabriel Ragaigne, fondateur. Toutefois, ce dernier souhaiterait tenter l’expérience. Participer à la création d’une filière, créer une gamme spéciale avec 2 à 3 tonnes pour vendre des produits plus haut de gamme... Les idées ne manquent pas au professionnel qui rappelle que la volonté d’Happy Hours en Biovallée reste de « travailler le plus possible en France ».
Gabriel Ragaigne, fondateur de Happy Hours en Biovallée (au centre), Clara Rivière et Julien Perrier, salariés de l’entreprise, s’intéressent à la création d’une filière locale d'amandes. ©ME-AD26
Le défi de la Casserie de la Drôme provençale
Rassemblés sous la forme d’une Cuma, sept producteurs d’amandes ont créé la Casserie de la Drôme provençale en 2021, à Savasse près de Montélimar. Avant la création de cet atelier de 600 m2, ils cassaient leurs amandes en Espagne. Trois années plus tard, le développement de l’outil se poursuit. Entre temps, le nombre de producteurs bio adhérents a chuté, passant de trois à un sur les huit producteurs actuels. Depuis cette année, Thomas Honoré, producteur sur seize hectares, se retrouve seul à produire de l’amande bio. L’intérêt de passer par une casserie locale est multiple : « Ça donne une maîtrise de tout le cycle de production fini et cela assure de la qualité, assure l’arboriculteur. C’est possible de mener cette initiative locale tout en étant cohérent d’un point de vue économique pour le producteur ». Thomas Honoré ne cache pas qu’il s’agit d’un « challenge », de sortir des « gros circuits » comme en Espagne où il y a un coût de production très bas grâce au volume. Pour lui, être dans le système Cuma, « c’est important pour que les producteurs soient intégrés à l’outil de production », qu’ils soient « tous concernés » et qu’ils parviennent à « diminuer les coûts le plus possible ».
180 t de coquilles cassées l'an dernier
Comment fonctionne la casserie concrètement ? Les producteurs fixent le prix au kilo de coquilles apportées. Des pénalités sont appliquées si la propreté des lots n’est pas correcte. Qui dit salissure, dit répercussions sur toute la chaîne et donc sur le coût du cassage. Si les lots sont sales, il faudra les repasser plusieurs fois dans les cassoirs et régler les machines différemment. « Pourquoi pas un coût à l’heure ? », demande un producteur de noix venu participer à la rencontre. « C’est une bonne idée », estime Thomas Honoré. La casserie fonctionne habituellement de septembre à décembre. Lors de cette période, trois salariés sont embauchés. En une journée, l’atelier comptabilise 1,5 tonne de coquilles. Les amandes doivent être à la bonne hygrométrie pour une bonne conservation et pour ne pas avoir du mal à les casser. À la sortie, les amandons passent par une calibreuse. Selon leur taille, les produits ont des débouchés différents. Certaines amandes cassées forment de la poudre que les producteurs cherchent encore à valoriser. L’année dernière, 180 tonnes de coquilles ont été cassées. Les déchets de coquilles, des clients les récupèrent pour s’en servir de combustible. Sous système Cuma, il n'est pas possible de sous-traiter la casserie. Si l’atelier fonctionne et permet aux producteurs de gagner en coût de production, cet investissement reste « un défi », dans le contexte d’aujourd’hui, reconnaît Thomas Honoré.
M.E.