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Grandes cultures

Le blé, une céréale à la rentabilité bien bousculée

Le président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) est venu dialoguer avec des agriculteurs drômois sur l'évolution du marché céréalier.

Le blé, une céréale à la rentabilité bien bousculée
« Depuis dix ans, nous avons perdu un million d'hectares de céréales à paille (blé, orge, seigle, triticale) sur les sept millions que compte la France. C'est une décroissance mortifère », a souligné Éric Thirouin. ©AD26

Pourra-t-on encore gagner sa vie en produisant du blé ? Avec le yoyo des cours mondiaux et des contraintes de production qui s'alourdissent, cette question tourne dans la tête de beaucoup de céréaliers. Elle a d'ailleurs occupé la plus grande partie des échanges entre Éric Thirouin, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB), et des agriculteurs drômois, le 9 janvier à Chabeuil, sur l'exploitation de Vladimir Gauthier. Si la Drôme n'est pas comparable avec la Beauce, d'où est originaire Éric Thirouin (210 ha en Eure-et-Loir), les dérèglements du marché céréalier touchent malgré tout l'ensemble de la filière. « Depuis dix ans, nous avons perdu un million d'hectares de céréales à paille (blé, orge, seigle, triticale) sur les sept millions que compte la France. C'est une décroissance mortifère », a souligné Éric Thirouin. Celle-ci touche principalement le blé et la région Occitanie. « 400 000 ha ont été perdus du fait des conditions météorologiques et 500 000 à 600 000 ha du fait de reconversions (27 % vers de nouvelles productions) ou d'arrêts d'activité (73 % transformés en prairies, jachères ou urbanisation) », a-t-il précisé.

« Un nouveau conflit planétaire »

« Depuis dix ans, nous avons perdu un million d'hectares de céréales à paille sur les sept millions que compte la France. C'est une décroissance mortifère », a souligné Éric Thirouin. ©CL-AD26

Le contexte géopolitique est l'une des causes de cet effondrement, en particulier les conséquences de l'invasion russe en Ukraine. Au début du conflit, la superpuissance céréalière qu'est l'Ukraine a vu ses exportations bloquées un temps par la Russie avec la fermeture de la Mer noire. Les céréales se sont alors écoulées vers les pays européens. « Aujourd'hui, les flux maritimes sont redevenus normaux et l'Ukraine, dont la capacité de résilience est énorme, exporte autant qu'avant la guerre », a indiqué Éric Thirouin. Cependant, il constate qu'avec le réchauffement climatique, davantage de terres sont productives en Ukraine et en Russie. « Leur rendement hectare a explosé en céréales. Et je regarde avec grande inquiétude le travail de Vladimir Poutine cherchant à construire son propre marché des céréales avec les pays du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie et Éthiopie - ndlr), pour faire du blé une arme, s'inquiète le président de l'AGPB. La Russie a même envoyé des contingents de blé gratuits vers l'Afrique. Nous assistons à un nouveau conflit planétaire qui déstructure le marché mondial avec un risque fort pour l'Europe. »

« Ne pas rester les bras ballants »

La rentabilité de la production de blé a occupé la plus grande partie des échanges entre Éric Thirouin, président de l'AGPB, et des agriculteurs drômois, le 9 janvier à Chabeuil, sur l'exploitation de Vladimir Gauthier. ©CL-AD26

Dès lors, l'après-conflit russo-ukrainien se prépare déjà, avec la perspective d'ici une dizaine d'années de l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne (UE). « Aujourd'hui, le blé ukrainien est rentable à 120 euros la tonne, ce qui signifie que nous ne sommes pas compétitifs, fait remarquer Éric Thirouin. De plus, l'Ukraine peut utiliser des molécules interdites en Europe et en France pour protéger ses cultures… Il nous faut donc structurer des protections, notamment si des accords de libre-échange voient le jour rapidement entre l'UE et l'Ukraine. » Les négociations de la Pac 2027-2032 sont aussi en ligne de mire. « Un programme sera présenté dans deux mois, annonce Éric Thirouin. Il faut préparer l'intégration de l'Ukraine dans le coup d'après. » Le président de l'AGPB évoque des points de négociation à l'étude comme la sortie des aides à l'hectare ou encore le rehaussement du prix d'intervention : « Actuellement à 101 euros la tonne, si on le revalorisait pour tenir compte de l'inflation, il atteindrait 175 euros » Avant d'ajouter : « Si on n'essaie pas de se battre sur les problèmes de frontières, de filets de sécurité de prix, d'investissements et de manière d'accompagner l'agriculture, on sera perdant. Sur la compétitivité, nous ne devons pas rester les bras ballants. »

« Cela ruine notre capacité à produire »

Aux côtés d'Éric Thirouin, Jean-Pierre Royannez, Vladimir Gauthier et Sandrine Roussin, le 9 janvier à Chabeuil, lors d'une réunion organisée par la FDSEA et JA 26. ©CL-AD26

Autre point de crispation, les interdictions de produits phytosanitaires. « C'est ma plus grosse préoccupation », confie le président de l'AGPB. Il évoque un « danger colossal » de pertes de cultures. « Nous sommes au bord du précipice, dit-il. On a vu ce que ça a donné avec la fin du diméthoate sur les cerises. » Il ajoute : « Avec le principe de précaution et le principe de non-régression*, on ne regarde pas le bénéfice-risque pour les phytos. Cela ruine notre capacité à produire ». Éric Thirouin fustige la « dangereuse logique de décroissance » et estime que « la France pourrait devenir dépendante en céréales ». Ce qui est demandé par l'AGPB, c'est de la « lucidité politique ». La mise en œuvre de la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb, visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, cosignée par 189 sénateurs et soumise au vote du Sénat cette semaine, est ainsi attendue de pied ferme.

Christophe Ledoux

* Le principe de non-régression en droit de l'environnement est un concept juridique visant à empêcher toute régression dans le niveau de protection environnementale au fur et à mesure de l'évolution du droit.

« Une pépite à faire fructifier »

« Aller chercher de la rentabilité comme vous le faites dans la Drôme avec la diversification des cultures, c'est une pépite à faire fructifier », a fait remarquer Éric Thirouin, président de l'AGPB, en découvrant le 9 janvier à Chabeuil la ferme de Vladimir Gauthier. Une exploitation qui compte 150 hectares de grandes cultures répartis entre productions de semences (maïs, tournesol, concombre principalement) et céréales (maïs, orge de printemps, soja, blé). Un tiers de la surface est en agriculture biologique et l'irrigation est assurée sur l'ensemble des terres. S'ajoute un silo d'une capacité actuelle de 1 200 tonnes. « L'exploitation fonctionne bien et assure une bonne rémunération grâce à la diversification sur des cultures à forte valeur ajoutée », confie Vladimir Gauthier. Le jeune agriculteur met également en avant l'importance de la filière avicole locale pour assurer les débouchés céréaliers. « Dans la Drôme, la recherche de valeur ajoutée a toujours été mise en avant. Et cela assure un fort taux d'installation, indique Jean-Pierre Royannez, président sortant de la chambre d'agriculture.

C.L.

La France, importatrice nette de céréales bio

En bio, la rareté paie. À 500 euros, le prix de la tonne de blé est revenu à son niveau de 2021. Il a gagné 200 euros depuis le mois de mars dernier. Mais la collecte de la céréale est inférieure de moitié à l’an passé (202 000 tonnes). 94 000 tonnes manquent pour couvrir les différentes utilisations (306 000 t). Toutes céréales confondues, la France est importatrice nette de grains de 15 000 tonnes. Comme la collecte (442 000 t) est inférieure aux utilisations (564 000 t), le déstockage (-80 000 t) et les importations (40 000 t) équilibrent la campagne.

L'Inrae lance une variété de blé tendre « agroécologique »

L'Inrae et sa filiale Agri Obtentions ont annoncé, dans un communiqué du 9 janvier, la mise en marché d'une nouvelle variété française de blé tendre, dénommée Géopolis, qui sera disponible pour les semis 2025. « Cette variété se caractérise non seulement par un rendement très élevé et un excellent taux de protéines, mais elle est aussi l'une des premières variétés de blé considérée comme agroécologique », permettant de répondre aux objectifs du plan Ecophyto II+, déclare l'institut de recherche. Résultant d'un travail de recherche de dix ans et de tests en plein champ depuis deux ans à Estrées-Mons (80), Le Rheu (35) et Crouël (63), elle est dotée « d'une forte résistance aux maladies telles que la septoriose, la rouille brune et le piétin-verse, et une tolérance à la cécidomyie orange », d'après l'Inrae. L'organisme projette, en France, une surface d'environ 30 000 ha de cette variété pour la récolte 2026. Pour la campagne culturale 2024-2025, la production de semences s’étend sur 600 hectares.