Sellerie Baude, 100 ans de foire
La sellerie Baude sillonne les foires de la région. Elle a fêté ses 100 ans sur celle de Beaucroissant en Isère, avant de prendre le chemin de Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme) pour le Sommet de l’élevage.

«En 1925, mon père est venu pour la première fois à la foire avec ses patrons, Marcel et Octave Taravello, à pied, avec une charrette et des mulets, depuis Romans-sur-Isère dans la Drôme. » Marc-Antoine Baude, qui dirige la sellerie Baude avec ses frères, a fêté, mi-septembre, les 100 ans de présence de l’entreprise familiale à la foire de Beaucroissant. Il sera également présent à Cournon-d’Auvergne, au Sommet de l’élevage, du 7 au 10 octobre.
Il reprend : « Ils ont vendu la marchandise qu’ils avaient eux-mêmes fabriquée. Après plusieurs jours passés sur place, ils ont dormi dans leur charrette à Tullins sur le chemin du retour. » L’artisan sellier drômois raconte qu’à l’époque, « tout le monde voulait venir à la foire de Beaucroissant ». La foire, qui fêtait cette année sa 804e édition, est en effet un rendez-vous commercial incontournable. Le sellier en appelle ainsi à la mémoire de Louis Mandrin, le fameux contrebandier du XVIIIe, né dans le village voisin de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, qui faisait commerce de chevaux à la Beaucroissant et y revendait même les objets volés. « Mon grand-père disait que c’était le rendez-vous de tous les pickpockets de France », sourit Marc-Antoine Baude.
Une entreprise familiale
« J’ai beaucoup travaillé avec mon grand-père et fait beaucoup de foires avec lui », relate le chef de cette entreprise dont le siège est à Bourg-de-Péage dans la Drôme. La sellerie Baude est fondée en tant que telle en 1938. Avant la mécanisation des travaux agricoles, la foire représente un moment crucial pour l’artisan sellier. Il y vend ses propres créations, préparées avec soin des semaines à l’avance. « Ma grand-mère me disait souvent que, quinze jours avant la foire, il ne fallait pas lui parler tant il était stressé. Il tenait à ce que tout soit prêt », rapporte Marc Antoine Baude. 1938 fut sa plus belle foire, celle où il a le plus travaillé. Il faisait la foire avec une estafette et en achetait une nouvelle chaque année avec les bénéfices réalisés à Beaucroissant ! »
En 1979, les parents de Marc-Antoine reprennent à leur tour l’entreprise. Et la tradition familiale se poursuit. « Ils ont travaillé comme des fous pour remonter l’entreprise. Mais la foire, c’était le truc de l’année, se remémore le sellier. Avec mon frère, nous avons grandi sur cette foire. Je me souviens de la foule immense. Il y avait tant de monde qu’il nous arrivait de ne pas avoir le temps de manger à midi. »
Une histoire qui se cultive
Les années 1980-1990 sont des années fastes. L’équitation se démocratise et la demande est forte pour le sellier-bourrelier. L’entreprise propose tous les équipements pour les chevaux, les cavaliers et l’environnement équestre. « Un gros camion de 19 tonnes était entièrement vidé. C’est impensable ce que l’on a pu vendre. Mais c’était aussi de grandes périodes de stress. » C’est l’époque où l’entreprise couvre 265 jours de foire par an. Avec son camion escamotable, il est aussi très présent en Savoie et Haute-Savoie. « Il y avait des foires partout et on faisait aussi des marchés dans la semaine. Aujourd’hui, la foire, c’est presque du folklore. Nous avons un grand magasin et un atelier à Bourg-de-Péage où le gros de notre activité est d’équiper des attractions de chevaux dans le monde entier. »
Aujourd’hui, même si l’impact commercial de la foire a évolué avec le temps, l’attachement demeure intact. « La foire de Beaucroissant n’a peut-être plus la même résonance pour notre entreprise, mais nous sommes extrêmement fiers de participer à cette édition 2025. Cent ans après la première présence de notre grand-père, c’est une belle façon
d’honorer notre histoire. Cette foire appartient au patrimoine familial. On sait ce que les anciens ont enduré les premières fois où ils sont venus. Nous retrouvons des clients dont les grands-parents étaient clients de notre grand-père. Et puis la foire nous permet de voir les gens sur le terrain. Ce sont des moments agréables car c’est un lieu de convivialité et d’échanges commerciaux. On appréhende mieux les marchés en étant présent sur le terrain. Quand je viens ici, je change d’époque. On n’a pas la même vision des choses que lorsqu’on est dans un bureau à traiter avec des grands groupes. L’histoire de la foire de Beaucroissant, c’est quelque chose qui se cultive. » Outre son histoire, la sellerie Baude sait qu’elle fidélise sa clientèle en proposant « des produits de qualité, avec un thème et un fil conducteur ». Le dirigeant rapporte ainsi un propos d’un de ses clients : « Vos boots, ce ne sont pas que des chaussures, c’est aussi un art de vivre ! » Il défend le modèle de son entreprise « d’artisan-commerçant ». « C’est un boulot de titan : faire les foires les week-ends et assurer la production en semaine ».
Isabelle Doucet
Un savoir-faire reconnu internationalement

Formé par son grand-père, Marc-Antoine Baude est l’héritier d’un savoir-faire qui aurait pu se perdre avec le recul de la traction animale. Mais l’entreprise, qui emploie une douzaine de personnes et réalise un chiffre d’affaires de 2,2 millions d’euros, a su évoluer et s’imposer à l’international. « Mon grand-père avait formé des chevaux pour travailler dans les parcs d’attractions. Je les ai vus commencer. Notre activité est aujourd’hui tournée vers les groupes, les centres scolaires, l’Institut français du cheval, les grandes familles du cirque basées en région parisienne, le cinéma et les parcs d’attractions que nous équipons entièrement. »
Cinq métiers
La sellerie Baude développe cinq métiers différents : une activité agricole avec des cloches et des colliers ; des chaussures ; des selles pour les chevaux ; des attelages de compétition et de loisirs (l’entreprise a été lauréate du trophée Ar’tinov pour son Equipvert, une voiture hippomobile de collecte des déchets) ; l’équipement du cavalier et du cheval. 15 % de la production est fabriquée dans la Drôme et l’entreprise travaille avec un large réseau de sous-traitants dans le monde (Amérique du Sud, Inde, Pakistan, Chine, Italie ainsi que des pays européens pour les chaussures).
« Nous sommes professionnels dans chaque secteur et employons du personnel qualifié », insiste le dirigeant. Il porte un regard confiant sur la filière équine, qu’il s’agisse du loisir, de la compétition ou du travail. « Il y a beaucoup de choses à faire avec le cheval. On en voit encore beaucoup dans les vignes, qui ont prouvé l’intérêt du passage de l’animal. » Il confie : « Il faut savoir ce que c’est que de travailler avec des chevaux dans les champs. » Le sellier-bourrelier plaide pour que les éleveurs aient des pouliches dans les fermes qui mangent les rebuts des vaches dans les champs, donnent une viande encore recherchée « et ne coûtent pas grand-chose ». « Nous sommes le dernier pays au monde à avoir 12 races à viande chevaline », insiste-t-il.
ID