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Initiative

Dans le Vercors, un centre de formation expérimental

Créée en 2022, l’association En cœur de parc du Vercors souhaite faire du Royans-Vercors « un territoire d’expérimentations », en particulier pour l'agriculture.

Dans le Vercors, un centre de formation expérimental
Le CFP MFR a pour vocation « d’accompagner le territoire à travers ces nouveaux enjeux via la montée en compétences des acteurs locaux et l’accompagnement d’expérimentations ». ©ME-AD26

Le Centre de formation pour la promotion des maisons familiales rurales (CFP MFR) En cœur de parc du Vercors s’est lancé hors des sentiers battus. Rien que le lieu qui héberge l’association, officiellement née en 2022, sort de l’ordinaire : la Maison de l’aventure, un tiers-lieu labellisé espace de vie sociale à La Chapelle-en-Vercors. L’administration du centre de formation vient d’horizons différents mais partage une même volonté résumée en trois mots : innovation, expérimentation et territoire.

Un facilitateur local

À l’origine de ce collectif, Nadine Schwerdtfeger, formatrice depuis près de 25 ans et spécialisée en pédagogies alternatives. Sensible à « des transitions et évolutions climatiques, environnementales, sociales et économiques », la professionnelle s’est interrogée sur les modèles historiquement mis en place dans le Vercors. Des modèles qui reposent sur deux piliers : le tourisme et l’agriculture. Pour faire face aux défis d’avenir, ces activités « auront besoin de s’adapter ». Ainsi, le CFP MFR a pour vocation « d’accompagner le territoire à travers ces nouveaux enjeux via la montée en compétences des acteurs locaux et l’accompagnement d’expérimentations », explique celle qui assure la présidence du centre.

Cibler l’agriculture 

Pour peaufiner son projet, le CFP MFR a lancé un diagnostic de territoire en 2023 auprès des acteurs locaux, dont 28 exploitations agricoles intéressées. Nadine Schwerdtfeger a pu compter sur l’engagement bénévole de plusieurs acteurs locaux. Certains retraités, comme Pierre Blondel, secrétaire, et d’autres bien connus du paysage vertacomicorien, tel que Claude Vignon, éleveur de chèvres et ancien maire de Saint-Martin-en-Vercors. Pour Pierre Blondel, cet engagement permet de « renouer à des amours insatisfaits », puisque ce dernier rêvait d’être agriculteur dans sa jeunesse avant de rejoindre l’industrie de la chimie. Le CFP MFR peut aussi compter sur Lucie Gresse, salariée chargée du développement des formations, ainsi que sur l’appui des collectivités locales et du mouvement des MFR pour mener à bien ses projets.

Morgane Eymin

Découverte

Une formation pour découvrir l’agriculture

La première formation portée par le CFP MFR aura lieu du 3 mars au 21 mars. Les candidatures sont ouvertes. 

Avec cette formation de trois semaines, l’association souhaite mettre en relation ceux qui pensent à s’orienter vers le milieu agricole. Le tout avec des agriculteurs pour « montrer les réalités des métiers ». 

En immersion

Les participants iront à la rencontre d’une dizaine d’agriculteurs (maraîcher, éleveur ...) et seront accompagnés, notamment sur l’aspect théorique, par Adeline Anglaret, pépiniériste en cours d’installation. Il s’agit d’une formation de 90 heures qui englobe aussi l’intervention d’autres professionnels, à l’image de salariés du parc du Vercors. La formation, prévue du 3 mars au 21 mars, s’adresse aux plus de 16 ans. Elle peut être en partie financée par France travail. Le CFP MFR espère aussi, d’ici janvier 2026, proposer un titre professionnel de « technicien entrepreneur en agriculture ». Une formation certifiante sur 12 mois qui ouvre droit à l’aide à l’installation. 

« Nous avons une responsabilité en tant qu’agriculteurs »

Au sein du CFP MFR, Claude Vignon espère « expérimenter pour inspirer d’autres territoires », il est en charge du développement du projet Bokaworm dans le Vercors. ©ME-AD26

Perché au-dessus de Saint-Martin-en-Vercors, à la frontière iséroise, l’élevage de Claude Vignon se tourne vers l’avenir. Connu pour avoir été maire de la commune ou encore conseiller départemental de la Drôme, l’agriculteur arrive en fin de carrière. Pas question pour autant de prendre sa retraite. Ce dernier continue de mener des projets en parallèle de son activité d’éleveur : il est à présent expert technique pour le CFP MFR.

Parcours du combattant


C’est l’histoire d’un homme, fils d’agriculteurs, aux « idées un peu décalées », à « l’esprit rebelle ». Son diplôme agricole en poche, Claude Vignon s’est installé en 1983 en tant qu’éleveur d’un troupeau de douze vaches et producteur de plants de fraisiers. « Tu vas faire pousser des plantes sur un caillou », raillait alors son entourage. En effet, le manque d’eau et la sécheresse et les quotas laitiers, instaurés en 1984, lui coupent l’herbe sous le pied et il cesse son activité de plantation. Dès 1989, il devient élu à Saint-Martin-en-Vercors avant d’en devenir maire en 2002. En 1992, date du déblocage laitier, il construit un bâtiment et trouve un accès à l’eau. Claude Vignon se convertit à l’agriculture biologique entre 1996 et 1998. « Il fallait oser car nous étions très mal vus », se rappelle-t-il. L’éleveur poursuit cette activité jusqu’en 2008 avec 35 vaches laitières. En parallèle, les visiteurs le retrouvent sur les pistes de ski en tant que moniteur. 

En 2008, avec son mandat au conseil départemental, l’agriculteur ne peut plus assurer la traite de ses vaches. Il se lance alors dans l’engraissement de vaches limousines et de veaux. Fin 2015, fin de son mandat, Claude Vignon opte pour un élevage de chèvres laitières. Aujourd’hui, il gère un troupeau de 300 caprins et il vend le lait à Agrial. L’éleveur valorise son lait en bio auprès de la coopérative. Ce marché lui permet de maintenir son activité et même d’employer deux salariés.


L’un des pionniers en bio 

Sa conversion en bio, Claude Vignon la doit à une prise de conscience à sa sortie de formation. « On apprenait à cultiver de manière intensive. La première alerte, ce fut la maladie de la vache folle », raconte l’éleveur. Sa génération a vu les animaux « disparaître des fermes et la taille des exploitations augmenter au profit de la monoculture ». « Il fallait donner du phosphore issu d’animaux. Moi, mes ruminants, je ne voulais pas leur donner de la viande, déclare Claude Vignon. Je me suis aussi aperçu que les engrais chimiques donnaient une grande quantité d’herbe mais pas de qualité ».

Ainsi, pour donner du sens à ce « qu’on met au cœur nos assiettes », l’agriculteur a revu ses techniques d’ensilage et cessé l’utilisation de produits chimiques : « Je suis passé au vrac, sans ficelles et avec beaucoup moins de tracteur ». Claude Vignon tend vers l’autonomie de sa ferme avec ses panneaux solaires et la revente d’électricité. Pour l’alimentation, « je recherche toujours des terres. Je cultive sept hectares pour mes chèvres mais il m’en faudrait une quinzaine pour toutes les nourrir ». Selon l’éleveur, « nous avons une responsabilité en tant qu’agriculteurs. Ce sont nos produits qui se retrouvent sur les tables. C’est un enjeu de santé publique ». Claude Vignon s’évertue à repenser le modèle actuel avec comme priorités de « sortir des énergies fossiles et parvenir à une souveraineté alimentaire ». Ainsi, au sein du CFP MFR, il espère « expérimenter pour inspirer d’autres territoires », il est en charge du développement du projet Bokaworm dans le Vercors. Concernant sa ferme, une de ses filles devrait la reprendre cette année et, dans le futur, y intégrer un atelier de transformation.


M.E.

Un « living lab » dans le Vercors

Dix agriculteurs implantés sur le Vercors ont été formés au procédé Bokaworm en 2023-2024. ©C.Vignon

Tout commence en 2022, lorsque Claude Vignon entend parler du procédé Bokaworm, mis au point par le laboratoire de recherche disruptive de Royal-Canin à Vergèze dans le Gard, qui permet de transformer des déchets organiques non triés en lombricompost. Après plusieurs échanges avec l’éleveur, les chercheurs se sont intéressés à la valorisation des effluents d’élevage via ce procédé. De fil en aiguille, une expérimentation a été lancée sur la ferme de Claude Vignon. Nouveau cap en 2025 : les tests vont s’étendre à d’autres élevages et à des communes du Royans-Vercors.

Épandage bio 

À travers ce procédé, les éleveurs pourraient valoriser le fumier en épandage. Les chercheurs ont prélevé de la litière forestière, composée de bactéries et de champignons, et l’ont faite fermenter. Mélangée à du fumier, la matière est prédigérée en un mois, sans odeurs et dans le respect des normes européennes. Ce procédé permet de composter de la matière organique en séquestrant le carbone et le méthane « plutôt qu’en les renvoyant dans l’atmosphère comme le compostage classique ». Ainsi, l’expérimentation pilote s’est déroulée durant deux ans chez Claude Vignon avec le fumier de ses chèvres. « Ça accélère la biodisponibilité des nutriments, l’azote, le phosphore et le potassium et les rend plus assimilables par les plantes », rapporte-t-il.

Des « laboratoires à ciel ouvert »


Après les tests sur la ferme de Claude Vignon, l’expérience a pris un nouveau tournant. Dix agriculteurs implantés sur le Royans-Vercors ont été formés au procédé Bokaworm en 2023-2024 par le CFP et des chercheurs. Un véritable programme de recherches a ainsi été développé sur le territoire. De 2025 à 2028*, les fermes vont devenir des « laboratoires à ciel ouvert ». L’objectif est de « caractériser les effets d’épandages successifs du lombricompost sur les prairies et les cultures ».

Le projet se déploie aussi à l’échelle communale à La-Chapelle-en-Vercors. Les déchets alimentaires et verts vont être transformés via le procédé Bokaworm en lombricompost. Le 12 avril, l’inauguration du site de compostage de la commune « signera une première mondiale », s’amuse le CFP MFR. En parallèle, le collectif forme d’autres MFR de la région à ce processus expérimental de valorisation des biodéchets.

*en partenariat avec Royal Canin, Inrae et l’Isara