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Portrait

Jeune éleveur sur le Vercors : la vente directe pour s’en sortir

A 22 ans, Corentin Jallifier a monté sa propre exploitation sur la commune de Vassieux-en-Vercors. Un parcours parfois semé d’embûches, entre présence du loup, pression foncière et autonomie alimentaire du troupeau de plus en plus difficile à atteindre.

Jeune éleveur sur le Vercors : la vente directe pour s’en sortir
Corentin Jallifier élève 200 brebis pour la vente directe d’agneaux à des particuliers et un boucher de Chabeuil. Suite à trois attaques de loups sur son troupeau en 2020, il a investi dans quatre chiens de protection. © AD

A Vassieux-en-Vercors, les opportunités pour s’installer sont rares. Corentin Jallifier n’a pas laissé passer celle qui se présentait à lui alors qu’il était âgé d’à peine 19 ans. C’était fin 2018. Un an auparavant, il avait obtenu son bac pro CGEA et venait de terminer son certificat de spécialisation « transformation des produits carnés » à La Roche-sur-Foron (74). Dans sa tête, trottait déjà l’idée de valoriser en direct la viande de son élevage, « seul moyen de s’en sortir aujourd’hui », estime-t-il. Mais pas question d’attendre la retraite de son père et de son oncle, éleveurs en Gaec sur la commune. « Ils ont encore plus de douze années d’activité devant eux et mon cousin souhaite aussi s’installer », précise Corentin Jallifier. D’où sa décision de monter sa propre exploitation. « Lorsque j’ai su qu’une ferme était en vente, avec 42 hectares de terres, un bâtiment et 200 brebis, j’ai tout de suite pris contact avec la chambre d’agriculture pour monter mon dossier d’installation », explique le jeune éleveur. En à peine deux mois, le dossier est ficelé et examiné par la CDOA. La Safer accepte sa candidature pour l’achat du bien. L’installation est officielle le 15 avril 2019. Dans la foulée, il investit 40 000 euros pour aménager le bâtiment de 1 000 m² qu’il vient d’acheter et accueillir, en plus des brebis, des porcs à engraisser.

Vente aux particuliers, deux épiceries et un boucher

Agneaux et porcs sont abattus à Romans puis découpés par l’éleveur au GIE viande Drôme des collines à Saint-Michel-sur-Savasse. « Pour les agneaux, j’essaye d’en faire abattre six à huit à la fois. Je ne propose pas de détail, que des demi-agneaux ou plus, ajoute-t-il. J’ai un bon noyau de clients sur le secteur du Royans que je livre sur le chemin du retour de l’atelier de découpe. » Les agneaux qui ne sont pas vendus en direct à des particuliers partent chez un boucher de Chabeuil.

Côté porcs, il propose en revanche une offre étoffée : depuis les côtes et rôtis, jusqu’aux chipolatas, saucissons, jambons blancs et, l’été, caillettes et pâtés. Les deux tiers de ses produits sont commercialisés par les épiceries de Vassieux et La Chapelle-en-Vercors, le reste à des particuliers.

Corentin Jallifier fait abattre et transforme deux porcs tous les quinze jours à trois semaines, de mars à octobre, et six pour la période des fêtes de fin d’année. Chaque mois, il achète un nouveau lot qu’il élève sur paille. © AD

« La vente directe me permet de valoriser correctement ma production mais pas assez pour en tirer un revenu », détaille Corentin Jallifier. Pour l’instant, il transforme 40 porcs par an. Son objectif est de passer à 80. En ovin, il vient de traverser une mauvaise année 2020. « J’ai perdu vingt brebis en trois attaques de loup, quarante ont avorté et une dizaine ont été victimes d’une acidose. Cette année, il me faut garder 50 agnelles pour le renouvellement. Je suis donc loin des 200 agneaux qu’il me faudrait abattre par an », résume le jeune homme.

La pression foncière s’accentue

Prédation mais aussi autonomie fourragère sont, selon lui, les deux freins majeurs à l’installation de jeunes éleveurs sur ce territoire du Vercors. « J’ai construit mon projet sur 82 ha dont 40 en location. Je viens d’en perdre 13, vendus par la Safer, dont 6 que je fauchais. Il ne me reste que 9 ha pour mes fourrages. N’oublions pas qu’ici, on ne peut compter que sur une coupe de foin chaque année alors que nos bêtes sont dedans de fin octobre à début mai. Je vais donc devoir acheter du foin ou baisser le nombre de brebis, ce qui n’était pas du tout prévu dans mon projet d’installation », déplore Corentin Jallifier. Il regrette que la pression foncière s’accentue et que les parcelles mécanisables du plateau de Vassieux soient prises d’assaut par des éleveurs « d’en bas » en quête, eux aussi, de ressources fourragères. « Ici, nous ne pouvons quasiment rien produire pour l’alimentation de nos troupeaux. Nos terres ne valent rien. Je n’ai que 9 hectares labourables sur la totalité de ma SAU. Je n’en cultive qu’un chaque année où je ne récolte que six tonnes d’orge pour les porcs... », poursuit l’éleveur. Heureusement, il dispose d’une cinquantaine d’hectares de parcours d’un seul tenant autour de la bergerie pour nourrir ses brebis l’été. A condition bien sûr de ne pas revivre l’épisode de prédation de 2020.

Corentin Jallifier estime qu'il lui faudra six chiens de protection  pour assurer la sécurité de son troupeau. © AD

« J’ai investi dans quatre chiens de protection qui restent avec le troupeau. Mais il m’en faudra deux de plus. Fin mai, je me suis retrouvé avec un chien blessé et un autre mordu par une vipère, tous deux immobilisés pendant une semaine, décrit le jeune homme. Avec des meutes de huit loups en face, difficile d’imaginer avoir moins de quatre ou six chiens avec le troupeau. C’est la seule solution presque efficace que nous propose l’État mais c’est du travail supplémentaire et une responsabilité énorme pour les éleveurs.»

A tout juste 22 ans, Corentin Jallifier est viscéralement passionné par son métier d’éleveur. Pourtant, lors de l’inauguration de son installation, organisée par le syndicat Jeunes Agriculteurs Drôme (JA26) le 11 juin dernier, il n’a pas manqué de rappeler qu’être éleveur sur le Vercors n’a rien d’une image d’Epinal mais relève d’une réalité de plus en plus difficile à affronter.

Sophie Sabot

Inauguration d’installation avec Jeunes Agriculteurs Drôme

Le 11 juin, une trentaine de personnes étaient présentes pour inaugurer avec Jeunes Agriculteurs Drôme l’installation de Corentin Jallifier. Parmi elles, la députée Célia de Lavergne, le maire de Vassieux-en-Vercors, Thomas Ottenheimer, et le président de la chambre d’agriculture, Jean-Pierre Royannez. Le jeune éleveur a profité de la présence des élus pour détailler les pertes économiques générées par la prédation sur son troupeau en 2020 : 12 brebis tuées, 8 disparues et de nombreux avortements, soit un manque à gagner de 31 370 euros. En face, l’aide perçue pour les brebis retrouvées mortes n’est que de 2 400 euros.

Lors de l'inauguration le 11 juin dernier © JA26

Les investissements réalisés

- 90 000 euros pour les terres (42 ha).

- 17 000 euros pour le cheptel ovin.

- 110 000 euros pour le bâtiment de 1 000 m² et 40 000 euros d’aménagement.

- 16 000 euros pour le véhicule de livraison et 3 000 pour une chambre froide mobile.

Il a bénéficié de 50 000 euros de DJA et 16 000 euros de PCAE.

« Aujourd’hui, mon exploitation est viable uniquement parce que je n’ai pas eu à acheter le matériel car je peux louer celui de mon père », précise Corentin Jallifier.

 

En dehors de l'exploitation / La mêlée pour débrancher

En dehors de l'exploitation / La mêlée pour débrancher
Corentin Jallifier fait partie de l’équipe réserve Fédérale 2 de Saint-Jean-en-Royans.© C. Jallifier

Pour tenir le coup quand on est jeune éleveur, mieux vaut avoir un espace de décompression en dehors de l’exploitation. Pour Corentin Jallifier, c’est le rugby qu’il pratique depuis douze ans. « Mes parents m’ont toujours emmené aux entraînements. C’est des contraintes mais ça détend et il faut garder une vie sociale », reconnaît-il. Désormais, il évolue en équipe réserve Fédérale 2. Autant dire que le dimanche, les matchs en extérieur peuvent se jouer à plusieurs heures de route du Royans, jusque dans le Jura ou sur la Côte-d’Azur. « Quand on joue à domicile, je m’occupe des bêtes avant et après. Sinon, je peux compter sur ma mère pour gérer les animaux quand je ne suis pas là », confie le jeune éleveur. Les matchs s’enchaînent de septembre à mai [avec une trêve à Noël], à raison de trois par mois. Sans compter les deux entrainements par semaine à plus de trente kilomètres de son domicile. « L’exploitation reste la priorité, notamment pendant la période des agnelages, de mi-octobre à mi-novembre et de début février à mi-mars, où je lève le pied sur le rugby. Mais j’ai aussi besoin de cette activité, insiste-t-il. Si on reste seul avec ses ennuis de boulot, on devient fou. » 

S.S.