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Comptage des loups : le CNRS interpellé

Sylvain Rigeade, éleveur à Eygalayes (Gaec Brin de paille), a déposé début août à la Mission d’intégrité scientifique du CNRS un signalement pour fraude scientifique sur la méthode de décompte des loups.

Comptage des loups : le CNRS interpellé
©SR
« Je souhaite obtenir un débat scientifique sur la méthode de décompte des loups », précise Sylvain Rigeade.

L'estimation du nombre de loups en France suscite toujours des réactions vives. Que suspectez-vous d'anormal dans ce processus ?

Sylvain Rigeade : « La méthode d’estimation du nombre de loups en France repose sur un partenariat scientifique entre le CNRS(1) et l’OFB(2) depuis plus de dix ans. Je suspecte que des scientifiques aient surestimé le taux de mortalité lié à l’utilisation du tir de défense(3) pour limiter ou arrêter la croissance officielle de la population de loups. En effet, le taux de mortalité (4) est fixé à 38 % depuis 2019. Or, au-delà d'une valeur seuil de 34 %, le modèle scientifique prédit une décroissance des effectifs de loups. »

Pouvez-vous être plus précis ?

S.R. : « Le taux permettant le calcul du quota de prélèvement aurait été utilisé à la place du taux de prélèvement. Le premier représente 19 %, le second moins de 10 % (moyenne 2019-2024). C’est sur ce dernier point que je demande au CNRS de statuer. Pour calculer le taux de prélèvement, il convient d’utiliser la population totale de loups (effectif maximum). Dans le cas contraire, on calculerait un taux de mortalité sur un effectif déjà amputé de la mortalité de l’année écoulée. Pour approcher en ordre de grandeur les conséquences supposées à partir de l’effectif “sortie d’hiver” 2021-2022 de 1 081 loups, je trouve, avec une surestimation de la mortalité de 10 %, une population fin d’hiver 2025-2026 de 1 581 loups. Le quota de tir de défense 2025 devrait être de 248 loups. Or, il a été fixé à 192 loups. »

Selon vous, l'effectif de loups est donc fortement sous-estimé.

S.R. : « Pour calculer l’effectif maximum de loups, il suffit d’ajouter la valeur de mortalité définie par l’OFB et le CNRS à l’effectif officiel, soit 38 % pour la période 2019-2024. En 2025, si l’on comptabilise 1 581 loups « sortie d’hiver » et qu’on utilise un taux de mortalité de 28 % (taux de mortalité d’après l’OFB/CNRS de 38 % - 10 % de taux de prélèvement), il y a donc 2 196 loups (effectif maximum), population sur laquelle sont tirés 192 loups, soit 8 % de l’effectif officiel et non 19 %. De ce fait, l’effectif officiel de loups est sous-évalué, impactant négativement le recours au tir de défense. »

Qu'espérez-vous avec le signalement déposé à la Mise ?

S.R. : « La Mission d’intégrité scientifique du CNRS a obligation de répondre. Ses membres vont d'abord étudier la recevabilité du signalement que j'ai déposé (un document de 20 pages - ndlr). S'ils estiment que c'est cohérent, des experts seront mandatés puis un compte-rendu sera transmis au PDG du CNRS. J'ajoute que j'ai informé Jean-Paul Célet, le préfet référent du plan national loup. »

En tant qu'éleveur, en quoi la prédation du loup vous a-t-elle directement impactée ?

S.R. : « Je fais des suivis loup depuis 2018 à titre personnel. En 2023, nous avons perdu un quart de notre troupeau qui comptait 250 bêtes (ovins et caprins). Et ce, malgré la présence de dix chiens de protection et six loups tués en trois mois et demi. Dans notre secteur des Baronnies, réduire les surfaces de pâturage - nous sommes sur des parcs de un à deux jours - avec une grosse meute de chiens et beaucoup de présence ne suffit plus. Nous ne pouvons pas avoir un système de protection plus efficace. La cohabitation ne doit pas amputer plus notre revenu. Je cherche donc à comprendre ce qui pourrait permettre d'améliorer cette cohabitation. Je souhaite obtenir un débat scientifique sur la méthode de décompte des loups, puis des possibilités et limites de la protection des troupeaux. »

Propos recueillis par Christophe Ledoux

(1) CNRS : Centre national de la recherche scientifique.

(2) OFB : Office français de la biodiversité.

(3) Le premier loup abattu en France dans le cadre du plan loup l'a été dans la Drôme, le 21 octobre 2004 à Bouvante, par un agent de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (OFB depuis 2019).

(4) Le taux de mortalité de la population de loups était en moyenne de 22 % avant 2014.

La Mission à l’intégrité scientifique du CNRS

Créée en 2018 et placée sous l’autorité directe du président du CNRS, la Mission à l’intégrité scientifique (MIS) veille au respect des principes d’honnêteté, de rigueur et de responsabilité dans la recherche. Dirigée par le Référent à l’intégrité scientifique, elle a deux grands axes d’action.

D’une part, elle instruit les signalements d’écarts à l’intégrité scientifique : fabrication ou falsification de données, plagiat, mais aussi comportements problématiques relevant de la « zone grise ». Chaque dossier fait l’objet d’une analyse, d’une enquête contradictoire et, si nécessaire, d’un rapport transmis à la direction du CNRS, pouvant conduire à des suites disciplinaires.

D’autre part, la MIS mène une mission de sensibilisation et de formation. Elle propose des guides pratiques, anime des formations pour les chercheurs et diffuse la charte nationale de déontologie des métiers de la recherche.

Pourquoi est-ce si difficile de compter les loups ?

Le loup est discret, nocturne et parcourt des dizaines de kilomètres chaque nuit. Impossible donc de le recenser simplement à l’œil nu. Jusqu’en 2024, l’Office français de la biodiversité (OFB) utilisait deux indicateurs :

- le premier, l’EMR (effectif minimal retenu), correspondait au nombre de loups repérés de façon certaine ;

- le second, le CMR (capture- marquage - recapture), repose sur la comparaison d’échantillons d’ADN pour estimer la population totale, y compris les animaux jamais directement détectés. Traces, crottes, poils, restes de proies : tout indice est collecté grâce à un réseau d’observateurs puis analysé, parfois jusque dans les laboratoires de génétique où l’ADN permet de reconnaître certains individus. Des modèles statistiques corrèlent cette information dans l’espace.

Croiser ces deux méthodes était parfois jugé illisible. Le gouvernement a tranché fin 2024 : désormais, seule la méthode CMR est retenue. L’évaluation se fait uniquement par analyses génétiques et modélisations statistiques.

Le débat du décompte des loups reste cependant vif. Les organisations d’éleveurs craignent que la nouvelle méthode minimise la présence réelle des loups, limitant la marge de régulation. À l’hiver 2023-2024, la population de loups a ainsi été estimée à 1 013 individus, avec une marge d’incertitude comprise entre 920 et 1 125. Ce chiffre sert de référence pour la fixation du quota de prélèvement. Pour 2025, celui-ci a été fixé à 192 loups, soit 19 % de la population estimée.

Prédation par le loup : bilan au 22 août 2025

Source : DDT26