« Faire de l'eau un intérêt majeur pour l'agriculture »
Éric Frétillère, président d'Irrigants de France, est venu dialoguer avec des agriculteurs drômois. Il défend l'idée que l'eau soit considérée comme un intérêt majeur pour l'agriculture.

Président d’Irrigants de France depuis 2016 et maïsiculteur, Éric Frétillère gère une exploitation de 100 hectares en Dordogne. « Un département avec une agriculture aussi diversifiée que celle de la Drôme », a-t-il fait remarquer le 14 janvier, lors d'une réunion organisée par la FDSEA et JA de la Drôme. Accueilli sous la serre photovoltaïque de l'EARL Pépinières Cotte, à Peyrins, il a prôné « un accès à l'eau essentiel pour continuer à produire et maintenir des exploitations agricoles, gages de la souveraineté agricole et alimentaire ».
Les agriculteurs présents ont amplement pointé les restrictions d'irrigation auxquelles ils sont régulièrement confrontés mais aussi le millefeuille administratif qui régit l'utilisation de l'eau. L'annonce d'une baisse des prélèvements d'eau de 20 à 40 % selon les bassins versants constitue une véritable épée de Damoclès sur la pérennité des exploitations agricoles. Cela est vécu comme une véritable injustice au regard des conditions actuelles de partage de l'eau entre les différents usagers.
« Ramener les décisions à une échelle très locale »
Le 14 janvier à Peyrins : « L’irrigation joue un rôle clé dans la diversification et la transmission des exploitations agricoles », estime Éric Frétillère, président d'Irrigants de France,. ©CL-AD26
« L’irrigation joue un rôle clé dans la diversification et la transmission des exploitations agricoles. Sans projets de stockage, le risque est de voir les exploitations évoluer vers des modèles plus grands, moins nombreux et moins diversifiés, alerte Éric Frétillère. Cela va à l’encontre de l’agriculture que nous souhaitons : des exploitations viables, diversifiées et à taille humaine. » Il plaide pour une approche adaptée aux spécificités locales : retenues collinaires, réserves de substitution ou encore réutilisation des eaux usées traitées (Réut). « Chaque projet doit être conçu selon les conditions hydrogéologiques locales. Il n’existe pas de modèle unique, même au sein d’un même département », souligne-t-il.
L'élaboration de projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) a été mise en avant. « C'est une chance de ramener les décisions à une échelle très locale, avec une présence agricole forte », a souligné Jean-Pierre Royannez, tête de liste FDSEA-JA aux élections chambre d'agriculture de la Drôme et président de l'OUGC(1) 26. « Dans les instances comme les Sdage(2), les Sage(3), les comités eau ou encore les Agences de l'eau, les agriculteurs ne sont pas assez représentés, déplore Éric Frétillère. Le monde agricole doit être meneur », prévient-il tout en pointant toutefois la fragilité juridique des PTGE.
La France « dernière en matière d’utilisation de l'eau »
« La France est le second pays en termes d'abondance d'eau, derrière la Norvège. Mais la France est dernière en matière d’utilisation de l'eau », fait remarquer le président d'Irrigants de France. En cause, l'accumulation de réglementations « surinterprétées en France ». Le stockage de l'eau est vu comme « une réponse pour faire face à l'évolution des précipitations, moins nombreuses en été et plus abondantes en hiver », estime Éric Frétillère.
Les agriculteurs drômois ont mis en avant les ressources en eau du département : « Avec le débit du Rhône, moins de neuf heures suffisent à satisfaire tous les besoins en irrigation pendant un an », selon Jean-Michel Cotte. « En 48 heures sur la rivière Drôme, on peut récupérer les deux millions de m³ nécessaires à l'irrigation en Vallée de la Drôme », selon Philippe Breynat, président de l'association des irrigants individuels (Adarii). Les agriculteurs présents considèrent que les ressources de la nappe phréatique sont également surprotégées au regard des enjeux agricoles et alimentaires.
Nouvelle « hiérarchie de l'eau »
Aux côtés d'Éric Frétillère, Jean-Michel Cotte, Jean-Pierre Royannez et Vladimir Gauthier. ©CL-AD26
« L'eau est un enjeu du 21e siècle et elle ne doit pas uniquement être gérée par une vision environnementale », plaide Éric Frétillère. Irrigants de France proposait la création d'un « secrétariat général à l'eau » regroupant les ministères de l'Environnement, de l'Agriculture, de l'Industrie et de la Santé. Cela n'a pas été retenu. À la place, a été nommé un délégué interministériel sous arbitrage du Premier ministre.
Par ailleurs, Irrigants de France prône un changement dans la « hiérarchie de l'eau ». « La loi sur l'eau et les milieux aquatiques place l'agriculture en cinquième position, après l'eau potable, le milieu naturel, l'industrie… ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays européens comme l'Espagne, note Éric Frétillère. Une de nos priorités est de conférer à l'agriculture “un intérêt général majeur” pour remonter l'eau dans la hiérarchie. Ceci afin que les enjeux environnementaux et agricoles soient étudiés de façon équilibrée ». L'adoption prochaine du projet de loi d'orientation agricole (PLOA) pourrait concrétiser ce souhait ainsi que la proposition de loi des sénateurs Duplomb et Menonville « qui place l'eau comme intérêt majeur pour l'agriculture », ajoute le président d'Irrigants de France.
Éric Frétillère met aussi en avant quelques avancées comme l'accélération du traitement en contentieux des projets de stockage d’eau « pour les faire plus rapidement aboutir ». Il évoque aussi les moyens prévus pour le fonds d'investissements en hydraulique ainsi que l'assouplissement pour l'implantation de petits plans d'eau en zone humide. « Il est essentiel que l’agriculture retrouve sa place centrale dans les politiques publiques », soutient Éric Frétillère.
Christophe Ledoux
(1) OUGC : organisme unique de gestion collective de l'eau.
(2) Sdage : schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.
(3) Sage : schéma d'aménagement et de gestion des eaux.
Irrigants de France
Irrigants de France est une organisation nationale créée en 1995 par l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM). Son objectif est de représenter l’ensemble des agriculteurs irrigants sur le territoire français, toutes filières confondues. Ses missions sont de valoriser et défendre l’irrigation auprès des décisionnaires nationaux et européens, d’informer les irrigants de l’actualité et des évolutions réglementaires et législatives et de promouvoir la réalité de l’irrigation française auprès de l’ensemble des parties prenantes.
Son bureau est ainsi composé : Eric Frétillère président (Dordogne), Jean-Luc Capes (Landes) secrétaire général, Anne-Claire Vial (Drôme) vice-présidente. Membres : Thierry Boudaud (Deux-Sèvres), Guillaume Chamouleau (Charente), Dominique Clyti (Aube), Christophe Compère (Aisne), Philipp Jougla (Tarn), Joël Haumesser (Haut-Rhin), Sébastien Méry (Loiret), Dominique Rousseau (Sarthe).
Repères
→ L'irrigation en France
1,8 million d’hectares irrigués en France métropolitaine (1), soit 6,8 % de la SAU.
71 000 exploitations irriguées (soit 15 % des exploitations).
3 milliards de m³ prélevés par l’agriculture, sur 180 milliards de m³ de pluie efficace en France, soit 1,7 % de la ressource (5).
3,8 milliards d’euros de chiffres d’affaires en France générés par l’irrigation (2), un chiffre d’affaires équivalent à celui généré par la filière semences (3).
Productivité globale de l’eau d’irrigation améliorée de 30 % en vingt ans (4).
Parts des cultures irriguées(1) : maïs 41 % ; céréales et oléoprotéagineux 26 % ; vignes, fruits et légumes 16 % ; cultures fourragères 11 % ; betteraves et pommes de terre 6 %.
Sources : (1) RGA, 2010 - (2) Irrigants de France - (3) Gnis - (4) Arvalis-Institut du végétal - (5) ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie.
→ L'irrigation en Drôme
49 205 ha irrigués en 2020 soit 25 % de la SAU départementale.
28 % des surfaces irriguées de la région.
1er département d'Auvergne-Rhône-Alpes en surfaces irriguées.
87 % par aspersion, 12 % en micro irrigation et 1 % en gravitaire.
Ressources utilisées : 68 % par le Rhône, l’Isère, la Bourne, 17 % de nappes souterraines, 15 % d’eaux superficielles.
Sources : RGA 2020 - Agreste Aura - OUGC - SID 2020
À l'occasion de son discours de politique générale le 14 janvier, le nouveau Premier ministre François Bayrou a indiqué son souhait d'organiser la Conférence sur l'eau annoncée par son prédécesseur Michel Barnier. Dans l'Hémicycle, le nouveau Premier ministre a exprimé son souhait d'organiser sur ce thème des « conférences nationales et régionales, pour définir une stratégie de long terme ». Préalablement, il a indiqué, sans précision, qu'il n'était « pas d'accord pour assimiler la gestion des eaux de surface au pompage des eaux profondes ».
Les précédents gouvernements avaient organisé un Varenne de l'eau en 2021, puis un Plan eau en 2023.
Par ailleurs, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur (dite loi sur les Entraves) des sénateurs Duplomb et Menonville inclut des mesures visant à simplifier la construction d'ouvrages de stockage d'eau.