La Mutualité sociale agricole Ardèche-Drôme-Loire (MSA ADL) a organisé le premier rassemblement du réseau des sentinelles de la Drôme lundi 20 janvier. Dès le matin, des professionnels se sont réunis pour échanger sur ce que réalisent ces 156 bénévoles sur le département. Pour rappel, les sentinelles sont des volontaires (citoyens, agriculteurs, professionnels) chargés de détecter les personnes en souffrance psychologique, de leur offrir une oreille attentive et de signaler celles qu’elles estiment en danger. Pour consolider ce réseau, la MSA ADL rassemble les sentinelles et différents professionnels (santé, institutions, association…) afin de permettre à chacun de parler de son expérience. En fin de journée une table ronde a été organisée avec différents acteurs.
Des JA engagés
Formés en 2024, Maëla Mancip, 26 ans, et Régis Liotard, 44 ans, sont devenus sentinelles. Tous deux en polyculture et élevage, ils forment un duo mixte « utile pour que les femmes comme les hommes se sentent à l’aise pour se confier », estiment les deux Drômois. Les Jeunes agriculteurs de la Drôme recensent deux référents mal-être sur chaque canton du département, soit une vingtaine au total. Depuis que Maëla Mancip s’est formée, elle ne perd pas une occasion d’aller vers les autres, d’échanger ou de proposer des sorties. « Parfois, c’est aussi donner des clés quand on voit qu’il y a quelques soucis, mais c’est compliqué car c’est un monde pudique », confie la jeune femme installée à Montmaur-en-Diois.
De son côté, Régis Liotard fait savoir aux agriculteurs qui l’entourent qu’il « est là, que s’ils ont besoin d’aide, ils peuvent m’appeler ». Selon lui, « depuis la formation, c’est plus simple d’aller vers les autres ». En plus de son élevage de poules pondeuses et de la culture de lavandin, l’agriculteur baigne aussi dans le monde viticole. « Avec ce que vit en ce moment la Clairette de Die, j’ai rencontré des viticulteurs en difficulté et j’ai pu les écouter », rapporte l’agriculteur basé à Solaure-en-Diois. Jean-Philippe Bréchet, élu MSA et sentinelle depuis 2023, témoigne lui aussi de situations difficiles dans le sud de la Drôme. « La crise viticole fait mal. Les obsèques d’un viticulteur qui a mis fin à ses jours ont lieu aujourd’hui, se désole l’agriculteur. Quand on est en contact avec un confrère qui va mal, le voir pleurer, c’est dur mais il faut l’écouter et voir son degré de souffrance ».
« Vous avez des agriculteurs qui n’ont pas pris de congés depuis trente ans et qui sont payés au Smic, il y a bien un problème », estime Olivier Damaisin en faisant référence « à un des facteurs de mal-être agricole » ©ME-AD26
Maëla Mancip, éleveuse de brebis, a quant à elle pu rester à l’écoute de ses confrères durant la crise sanitaire qui a touché les élevages. Pour les deux agriculteurs, assister à ce rassemblement a permis de « se rendre compte qu’il y a du monde qui travaille sur le sujet ». Pour l’exploitante, qui a partagé son vécu au sein d’un groupe composé de travailleurs sociaux de la MSA, « on s’aperçoit aussi que ça concerne tout le monde et que les salariés aussi sont touchés par le mal-être des agriculteurs ».
Un invité d’honneur
Olivier Damaisin, drômois d’origine, assure la fonction de coordinateur interministériel du plan de prévention du mal-être en agriculture depuis 2020. Ce sujet, il s’en est emparé sur demande de Didier Guillaume, décédé en ce début d’année (lire notre précédente édition). « Ma présence ici est un clin d’œil à celui qui, alors ministre de l’Agriculture, m’a confié cette mission sur le mal-être et le suicide des agriculteurs », raconte ce dernier. À ce jour, près de 7 000 sentinelles ont été formées à l’échelle nationale.
« Vous avez des agriculteurs qui n’ont pas pris de congés depuis trente ans et qui sont payés au Smic, il y a bien un problème », estime Olivier Damaisin en faisant référence « à un des facteurs de mal-être agricole ».
Il prévient : « Il ne faut pas que la sentinelle soit dans une situation de mal-être à la suite d’un échange ». Des propos appuyés par d’autres professionnels lors de la table ronde. « C’est une charge mentale avec des situations lourdes à porter. Parfois, les sentinelles aussi ont besoin d’en parler », assure la professeure Catherine Massoubre, cheffe de service de psychiatrie au CHU de Saint-Étienne et présidente du Groupement d’études et de prévention du suicide (Geps). Raison pour laquelle Caroline Chalaye, psychologue et formatrice nationale à la prévention du mal-être, conseille aux sentinelles « de prendre soin de soi et d’avoir recours à des professionnels si besoin ».
Cette table ronde fut l’occasion pour Julie Malsert, chargée d'études prévention mal-être à la MSA ADL, de rappeler l’ensemble des dispositifs de soutien des agriculteurs en difficulté, notamment via le service social de la structure : Réagir rebondir 26, l’aide au répit, les numéros gratuits Agri'écoute (09 69 39 29 19) et prévention du suicide (3114)… « Nous ne sommes pas des professionnels de santé mais nous sommes des professionnels de l’humanité car nous sommes humains », a conclu Julie Malsert.
M.E.