Main-d'œuvre : « Il nous faut plus que des dérogations »
Jérôme Volle, responsable emploi à FNSEA, et Manon Pisani, trésorière adjointe à JA, ont échangé avec les agriculteurs drômois sur les problématiques liées à la main-d’œuvre agricole, jeudi 23 janvier.

Jérôme Volle, vigneron ardéchois, a traversé le pont pour venir à la rencontre des agriculteurs drômois. À ses côtés, Manon Pisani, éleveuse dans les Pyrénées-Atlantiques. Les professionnels de la FNSEA et de JA France ont répondu aux interrogations des Drômois sur l’emploi de main-d’œuvre agricole : contrats, logements, TO-DE… Ils ont été reçus à Larnage, à la SCEA L'Abricotier de Benjamin Amblard, viticulteur et arboriculteur depuis 2010. « Sur le domaine de l’emploi, nous avons du travail. La FNSEA est la seule organisation patronale agricole, seule représentante des employeurs », rappelle Jérôme Volle. Sa consœur JA souligne quant à elle que « le renouvellement des générations passe aussi par un besoin de main-d’œuvre ».
Les salariés d’une entreprise
Pour préparer les agriculteurs aux difficultés liées à l’emploi de main-d’œuvre, Manon Pisani cible les centres de formations. « Il faut parler emploi et management. C’est un défi pour demain. Il faut accompagner les jeunes qui auront besoin de main-d’œuvre et ne pas rester un secteur d’activité déconnecté des autres entreprises », argumente l’éleveuse. L’entreprenariat et le management, deux concepts qui font réagir Jérôme Volle. « En arboriculture, en viticulture, nous devons organiser le travail, sinon nous subissons des pertes. Il faudrait apprendre cela à l’école. D’ailleurs, si le salarié apprend le management, il comprendra les choix de son employeur dans le futur. Chaque année, comme une entreprise, nous avons un bilan avec un chiffre d’affaires. Avoir des notions de management, c’est aussi gérer ses relations humaines », soutient l’agriculteur.
« Le coût de la main-d’œuvre en arboriculture et en maraîchage, c’est déterminant pour la réussite d’une entreprise. Dans nos chiffres d’affaires, les salariés sont comptabilisés comme une charge. Une charge française face aux charges déloyales en Europe. Nous devons chercher la compétitivité », estime ce dernier en abordant le dispositif TO-DE et les groupements d’employeurs. « À la veille de sa nomination en tant que ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume soutenait déjà le dispositif. On peut lui rendre hommage aujourd’hui car il l’a défendu. Le TO-DE a été maintenu à 1,20 avant de passer à 1,25 fois le Smic en mai dernier », rappelle Jérôme Volle. Le dispositif a ainsi été prolongé jusqu'au 31 décembre 2025. L’occasion de rappeler que les jeunes agriculteurs installés en 2024 peuvent déposer une demande de dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties avant le 31 janvier 2025.
« Les salariés étrangers, il faut les loger et s’assurer que tout soit en règle. Ça va devenir un vrai enjeu », lâche un participant. ©JA26 « Les salariés étrangers, il faut les loger et s’assurer que tout soit en règle. Ça va devenir un vrai enjeu », lâche un participant. ©JA26
« Pas de logement, pas de salariés »
Pour trouver de la main-d’œuvre saisonnière, de nombreux producteurs font appel à la main-d’œuvre étrangère. « En tant qu’agriculteur, on ne fait souvent pas les démarches sur France Travail et, pourtant, 75 % d’entre nous avons un problème de recrutement, rapporte Jérôme Volle. L’objectif, c’est que toutes les filières soient reconnues comme métier en tension ». Pour rappel, un arrêté interministériel du 1er mars 2024 élargit la liste des métiers en tension aux agriculteurs, éleveurs, maraîchers, horticulteurs, viticulteurs et arboriculteurs salariés sur l’ensemble du territoire hexagonal. L’un des enjeux pour les agriculteurs et l’État : « sécuriser la venue d’étrangers sur le territoire », fait savoir le viticulteur. Avec comme autre objectif de « trouver des solutions de logement ». Chaque année, les agriculteurs drômois font appel à de nombreux travailleurs venus de la Tunisie et du Maroc. Une préoccupation taraude l’esprit des agriculteurs présents ce jour-là : « Les salariés étrangers, il faut les loger et s’assurer que tout soit en règle. Ça va devenir un vrai enjeu », lâche un participant.
« D’abord, il faut recenser tous les logements possibles sur le territoire, les écoles, les centres de formation… Le problème, souvent, c’est la réglementation sur le nombre de m² », déclare Jérôme Volle. Certains participants s’interrogent sur les dérogations. En effet, « en application des articles R-716-16 et 25 du code rural et de la pêche maritime, des dérogations à certaines conditions sont possibles pour faire face à un surcroit déterminé d’activité lorsque l’employeur recrute et loge des travailleurs pour une durée inférieure à 30 jours sur une période de douze mois consécutifs ». De quoi faire réagir l’intervenant. « Ici, vous êtes quand même assez chanceux par rapport à d’autres départements. Il y en a de plus en plus qui demandent des dérogations, déclare Jérôme Volle. Il y a un vrai travail sur l’urbanisation. Nous sommes en terres agricoles, donc nous ne devons pas construire mais il y a une volonté d’installer des mobilhomes pour loger les saisonniers et avoir la possibilité de loger sur ses terres. Il nous faut une loi, pas pour un département mais pour tous. Ce sujet a été porté au ministère du travail », conclut l’intervenant avec espoir.
La rencontre a eu lieu sur l’exploitation de Benjamin Amblard (à gauche) à la tête de deux exploitations arboricoles dont une diversifiée en vin Crozes-Hermitage. ©ME-AD26
Trouver des solutions
Autre frein à l’embauche de salariés : la mobilité. « Si ce sont des locaux et qu’ils sont âgés de 16 à 20 ans, il n’ont pas forcément le permis ou de moyens de se déplacer », lance un agriculteur. « Comment avoir une source de financement pour la mobilité vers les exploitations agricoles ?, s’interroge Jérôme Volle. Il faudrait une stratégie nationale ». Pour embaucher, les intervenants mettent en avant une autre option : les groupements d'employeurs. « Ils permettent de sécuriser les filières. Les salariés sont spécialisés et les entreprises moins fragilisées », défend Jérôme Volle. De son côté, Jean-Pierre Royannez, président sortant de la chambre d’agriculture de la Drôme, porte le message de ceux, qui sont confrontés aux problématiques de l’élevage. « Aujourd’hui, on s’équipe pour faire face à la prédation. C’est une gestion de main-d’œuvre difficile avec de la surveillance sur des grandes amplitudes horaires. Le coût d’un berger, c’est payer quelqu’un plus qu’on se paye soi-même ». Les problématiques de logement des bergers au sein des parcs nationaux ont ainsi été abordées.
Les intervenants ont invité les agriculteurs à tenter de « s’adapter aux enjeux territoriaux » en prenant l’exemple d’une ferme de vaches allaitantes tenue grâce à un salarié qui vit à côté de la ferme et qui permet à l’employeur d’avoir plus de temps de vie et une organisation plus souple. Ou encore d’une exploitation de tomates sous serre, qui a modifié ses horaires et ainsi pu toucher les parents d’enfants qui emmenaient leurs enfants plus tôt à la crèche. Des paroles qui ouvrent la voie à d’autres perspectives pour le futur. L’utilisation de drones pour pulvériser intéresse certains producteurs. D’autres, comme de jeunes installés, peinent à voir l’avenir. « Les dérogations, c’est du court terme. Quand on est jeune, on a besoin d’une vision sur plus d’un an. Il nous faut plus que des dérogations », déplore l’un d’entre eux.
M.E.