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Loup

« Si ça continue, les élevages vont disparaître »

Claude Font, secrétaire général de la Fédération nationale ovine, s’est rendu sur l’exploitation de Sébastien Bos, éleveur à Gigors-et-Lozeron, pour répondre aux interrogations des éleveurs sur la prédation.

« Si ça continue, les élevages vont disparaître »
Cet échange, organisé dans le cadre du Drôme Tour de la FDSEA et des JA 26, a placé la cohabitation entre les chiens de protection et les citoyens au cœur des préoccupations. ©ME-AD26

De l’inquiétude et de la colère attendaient Claude Font lors de sa venue jeudi 16 janvier dans la Drôme. Lors de cette rencontre entre les éleveurs et le secrétaire général de la Fédération nationale ovine (FNO), organisée par FDSEA et JA 26, plusieurs sujets de crispation ont été mis sur la table. 

La cohabitation avec les chiens 

Lors de son installation en 2006, Sébastien Bos, éleveur de brebis, n’imaginait pas se retrouver responsable de vingt chiens. « À l’époque, j’avais un collègue qui avait vingt chiens et tout le monde trouvait ça énorme », se rappelle l’agriculteur qui est aujourd’hui à la tête d’un troupeau de 1 550 brebis. Toutefois, au fil des années, après avoir subi plusieurs attaques de loup, Sébastien Bos a multiplié par deux sa meute de chiens. Aujourd’hui, il fait partie de ceux qui ont appris à cohabiter « même si au début c’était compliqué ». Cependant, un grand nombre d’éleveurs peinent encore à accepter cette situation. Tous reconnaissent la nécessité d’être équipé de chiens de protection. « Quand les bêtes sont dehors, les chiens sont dehors. Ce sont eux qui font le travail jour et nuit », reconnaissent les exploitants. Mais cet « avantage sur la prédation » possède aussi son lot d’inconvénients. « C’est un vrai boulot de s’en occuper. Moi, je ne peux pas gérer un parc de nuit car ça pose problème sur ma vie de famille », rapporte un éleveur. Un de ses collègues déplore quant à lui « les dizaines d’appels en absence lorsque j’ai un chien sur le chemin ».

Alain Baudouin, président de l’association des éleveurs et des bergers du Vercors, émet l’idée de « rendre les chiens de protection d’utilité publique » pour faire évoluer leur statut. « Sans chien, nous n'avons pas d’élevage. Le problème, c’est que les gens ne respectent même pas les panneaux. Ils passent au milieu du troupeau », rapporte un autre éleveur qui demande à Claude Font « d'aider à gérer ces problèmes ». Actuellement poursuivi en justice, un couple d’agriculteurs raconte son histoire. « Mon chien a mangé une marmotte dans le parc de la Vanoise et maintenant je dois payer des amendes, expose l’éleveur en colère. Mais moi j’ai pas choisi d’avoir des chiens. Je suis obligé sinon je me fais bouffer ».

Quelle responsabilité ? 

« Le problème, aujourd’hui, c’est que ça n’est plus le loup le méchant mais ce sont les bergers. On en prend plein la face », réagit Alain Baudouin. Un des agriculteurs pointe du doigt les messages erronés qui sont diffusés entre les départements. « En Ardèche, j’ai entendu des personnes qui disaient que chez nous tout se passait bien, qu’on arrivait à gérer la prédation sans problème… Les gens y croient mais ils ne comprennent pas comment c’est possible. La vérité, c’est qu’on a presque 1 000 chiens sur le département », déclare-t-il.

Face à tous ces témoignages, Claude Font reste transparent. « Au sujet des chiens, ça n’avance pas du tout, leur annonce-t-il. Un groupe de travail a été monté par le ministère de l’Agriculture. D’un point de vue législatif, rien n'a avancé. Le problème, c’est que le chien répond à plusieurs réglementations ». Il cite la volonté d’augmenter le seuil à l’installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) actuellement arrêté à neuf chiens. « On vit d’espoirs. Nous attendons une stabilité politique afin que cette proposition soit votée. C’est en attente, rapporte le secrétaire général de la FNO. Ça pourrait exclure juridiquement la responsabilité de l’éleveur par rapport aux usagers ».

Perte de surfaces 

Claude Font conseille aux éleveurs, en cas de dossiers environnementaux, de tenir les syndicats « directement informés » afin de gérer l’affaire de manière administrative « avant qu’elle ne parte en judiciaire ». « Un soutien juridique et moral leur sera toujours apporté s’ils en font la demande », assure Jean-Pierre Royannez, tête de liste FDSEA-JA 26 à l’élection de la chambre d'agriculture. Concernant les conventions de pâturage, des éleveurs craignent de se voir retirer des terres. « Après des plaintes de mon voisinage, j’ai fini par enlever mes chiens à plusieurs endroits, donc à perdre de la zone et à reculer. Quelques semaines après, le loup a été vu au bout du village. Si ça continue, je vais arrêter l’élevage car je n’aurai plus de terres. Le problème, ça n’est pas que le loup, ce sont aussi les citoyens, estime une éleveuse Saint-Julien-en-Quint. On diminue le cheptel et on fait des concessions. Si ça continue, les élevages vont disparaître ».

Une quinzaine d'éleveurs avaient fait le déplacement pour cette rencontre. ©ME-AD26

Comptages et déclarations

Pour déclarer la présence d’un loup, les éleveurs doivent apporter des preuves prises en compte par l’OFB. Concernant, les indices, Claude Font rappelle que des personnes sont formées pour intégrer le réseau Loup-lynx. Sur le comptage, les éleveurs réfléchissent à positionner le curseur non pas sur le nombre de loups mais sur la pression exercée. « C’est-à-dire, le nombre de victimes et de constats », précise Claude Font. Des éleveurs revendiquent la prise en compte des indices de présence. « Il faudrait faire reconnaître la carte de Bruno Lecomte qui recense les attaques, avec des vidéos et des bandes sons. Tout le monde peut l’alimenter et même les données de Maploup sont dessus. Les informations sont vérifiées pour éviter les doublons », argumente un participant avant de distribuer un QR code pour accéder à l’outil conçu par l’éleveur vosgien. « Et pour les pertes indirectes ? », interroge une éleveuse. « Le ministère de l’Écologie travaille dessus mais on est encore loin du compte », annonce Claude Font rappelant qu’il s’agit d’une enveloppe dont « le barème est en fonction du nombre d’attaques et des clôtures ». Le coordinateur avertit les participants sur le risque d’une gestion différenciée des territoires. « Cela nous diviserait », estiment les éleveurs. 

Point sur la FCO 

Une enveloppe de 75 millions d’euros a été attribuée par le Gouvernement Barnier pour les pertes liées à la FCO-3 . La téléprocédure de dépôt des demandes de solde devrait ouvrir le lundi 27 janvier sur FranceAgriMer. « Elle se fera sur une période très courte », prévient Claude Font. Concernant la prise en charge des vaccins FCO-3 et FCO-8, Jean-Pierre Royannez a annoncé qu’une rallonge allait être demandée au Département. 

Le coût de la cohabitation 

Si la cohabitation avec le loup semble plus sereine aujourd’hui pour Sébastien Bos, ce dernier a dû adapter son activité d’élevage. « Avant, on mettait toutes les brebis sur les hauts-plateaux du Vercors pour la transhumance. Maintenant, on divise le troupeau en deux avec une partie qui part en Savoie », raconte l’hôte de la rencontre. Toutefois, l’éleveur a dû embaucher deux bergers pour gérer ses troupeaux. L’embauche de professionnels lui coûte 40 000 €. Pour les croquettes de ses chiens de protection, il débourse 1 500 € par trimestre. « Les aides ne permettent pas de supporter l’ensemble de ces coûts », reconnait-il. Malgré cette protection, Sébastien Bos comptabilise toujours des pertes, qui varient selon les années : 75 brebis tuées en 2023 contre 2 en 2024.

M.E.